Espien : « Lors de votre sacre mon prince, j'ai discuté avec sa sainteté. Malheureusement, monseigneur Adrien est resté sur ses positions, m'accusant de vouloir l'influencer pour qu'il nomme un légat qui nous sois favorable. Il m'a dit qu'il allait nommer quelqu'un de neutre et de compétant.
Pour le moment il n'a pas fait d'annonce, mais ça se saurait tarder.
Adrien devra nommer quelqu'un d'assez prestigieux pour parlementer avec vous et le comte, seul un évêque pourrait avoir cette autorité. Et quelqu'un qui soit un bon médiateur et qui partage ses vus sur la situation.
L'évêque de Vaucouleur pourrait remplir ce rôle, mais lui et l'archevêque s'opposent sur le sort des Dremmens convertis. Je pense qu'il nommera un prélat des Landes Orientales, qui soit du parti des Baronnies ou de la Trémanche. Ils sont neutres dans l'affaire, ni alliés ni ennemis de l'un des protagonistes du conflit. Enfin, en principe... »

Eustache : « Monseigneur, je n'ai pas rassemblé une armée pour simplement marcher sur la campagne. Il faut provoquer une bataille contre Landebroc, le seul moyen de gagner cette guerre !
Et je pense que le comte est du même avis que moi puisqu'il a rassemblé lui aussi des hommes en grand nombre. L'archevêque ne vous a pas sacré pour rien, le Tricéphale est avec nous ! Nous allons gagner ! »

La confiance d'Eustache dans les pouvoirs du saint-chrême fit sourire Espien. Frère Paul roula des yeux avant que le connétable ne reprenne la parole.

Annequin : « Monsieur le duc a raison, notre objectif n'est pas le Valais, mais la conquête définitive du Vaujour. Il faut surtout mettre un terme aux velléités séparatistes et repousser Landebroc. S'il cherche la bataille nous répondrons présents, mais je suis d'avis de l'éviter. »

La nouvelle d’Espien ne me rassure guère. Je n’espère vraiment pas que ce salopard d’Adrien nous mette entre les pattes un évêque qui cherchera à nous nuire. Je serais content que l’évêque de Vaucouleur soit nommé : Lui et moi nous sommes bien entendus et rapprochés. Mais si on se retrouve avec Domice d’Aigues comme larbin de Vendaume… On en a pas fini.


« Très bien, monseigneur.
Dieu nous garde de la faiblesse d’un légat qui prendrait le parti de Landebroc. Sa Sainteté Adrien s’est montré très résolu à l’idée de reconnaître la légitimité de ce bâtard assassin. »


Eustache est très pressant. D’ordinaire, c’est ce que j’apprécie sur lui, mais la Croisade m’a apprit l’importance de la précaution dans les affaires militaires.


« Landebroc contrôle le Valais de toute façon. Et vingt mille hommes, c’est certes une forte armée, mais c’est aussi une armée pesante, encombrante, qu’il faudra constamment nourrir.
Déjà, Raveaux. Déjà, s’assurer que le Vaujour ne brûle pas. Ensuite, nous pourrons entrer dans le Valais, saccager la région et la campagne, et nous concentrer sur le siège de places fortes stratégiques plutôt que sur des grandes villes ; Nous ne sommes pas obligés d’affronter Landebroc. Il faut juste le presser, le déstabiliser, montrer aux nobles du Valais qu’il est en fait incapable de protéger son peuple, qu’il est prêt à les abandonner pour protéger sa propre vie. Ça le déstabilisera, et on pourra aisément négocier avec les châtelains du Valais pour les retourner.
C’est ainsi que je procédais en Croisade. Plutôt que de forcer tous les infidèles à s’unir ensemble, je jouais habilement entre la terreur et la bonté. J’étais capable d’ordonner la destruction d’une place forte un jour, puis inviter un émir à manger à ma table avec tous les honneurs un autre. Très vite, ils se mettaient à se tirer dans les pattes entre eux. Landebroc est puissant car je suis détesté, et lui est vu comme un preux paladin qui les défends. Retournons ce prisme, et l’ennemi que nous affronterons sera plus aisé à mater. »


Je me tourne à nouveau vers Espien.


« Qu’en est-il de nos alliés ? Le Duché de Basse Julienne a promit d’essayer de neutraliser la Haute par un pacte. Mais la vicomté de Landéron se doit également d’intervenir. Si nous pouvons isoler Landebroc sur son flanc, nous n’en serons que plus heureux encore. »


Puis vers Cécil.


« Beau travail avec votre réseau d’agents. Il est en revanche immensément triste que Marie de Valais soit morte, elle aurait été fort pratique pour nos plans… Avez-vous obtenu d’autres nouvelles depuis ? »

Annequin « Il est vrai que c'est sa "victoire" contre nous qui a permit à Landebroc d'asseoir son autorité.
Il a profité du prétexte de la guerre pour usurper le trône, selon lui une jeune fille ne pouvait pas mener l'armée. Sa victoire a montré qu'il avait raison et il est passé pour un héros auprès de son peuple.
Il a su défendre le Valais, mais pour que son triomphe soit complet il va devoir reprendre le Vaujour.
C'est donc à lui d'attaquer, de prendre l'initiative.
Je vous rejoint sur votre vision des choses monseigneur Eudes, montrons aux valaisans que leur comte est incapable de les défendre. Si la noblesse du Vaujour ne voit pas d'autres alternatives à vous vouer allégeance, ils lâcheront Landebroc pour protéger leurs terres. La commune de Raveaux en fera tout autant. C'est l'espoir qui soutient la révolte, supprimons cet espoir et nous allons vaincre. »

Le conseil acquiesça, même Eustache, bien qu'il désapprouvait.

Espien : « Ce qui inquiète nos voisins c'est surtout l'alliance entre Landebroc et Gilles de Sainte-Croix. La Basse-Julienne et le comté de Roxemberg sont des ennemis naturels du duc Gilles.
J'ignore en revanche ce que compte faire la vicomté du Landéron, nous n'avons pas de nouvelle. »
Daguerre : « Mieux vaut compter que sur nos forces monseigneur. Les pactes d'alliance sont souvent des actes diplomatiques sans effet. On nous promet une intervention, mais le moment venu nous ne trouvons plus personne. »

Répondant au compliment de son suzerain, l'officieux maître espion se contenta de hocher la tête.

Cécil : « Merci monseigneur, je ne fais que mon travail. Nous n'avons pas plus d'information sur Marie, mais la nouvelle n'est pas étonnante. Elle représentait le dernier obstacle pour Robert, il a dû la faire assassiner. Désormais les barons du Valais sont forcés de le soutenir. »

Je grogne d’approbation à l’annonce de Monseigneur Espien. Puis soupire longuement quand c’est au tour de Cécil de parler.

« Les voies de Dieu sont impénétrables. Mais c’est probablement la Géhenne qui permet à un enfant adultérin parricide d’ainsi s’accrocher au pouvoir.
Peut-être est-ce que j’aurai l’occasion de négocier avec Landebroc au cours du conflit. Peut-être faudra-t-il que je l’écrase pour sécuriser définitivement le Vaujour. À l’heure actuelle, nous n’avons pas d’autres choix que de nous déployer militairement. »

Je fais un signe de main.

« Il m’arrive d’être sanguin et impulsif, mais je voulais féliciter chacun d’entre vous pour vos avis et votre travail ; Personne autour de cette table ne mérite pas sa place. Chacun d’entre vous sert à construire ce Duché et le maintenir à flots, malgré toutes les difficultés qui n’arrêtent pas de survenir…
La Transgarde, le Porez, le Vaujour. Nous sommes entourés d’ennemis qui pensent pouvoir nous presser à la fois. Mais c’était facile pour eux de le faire alors que le Duc était un pauvre homme malade. À présent il est temps de tous leur montrer que nous sommes la principauté la plus puissante des Franges. »

Petite pause.

« Rassemblons les chevaliers et faisons dire une grande messe pour que Dieu nous aide dans cette campagne. Ensuite, je partirai à la guerre avec mon connétable et mes commandants.
Comment les choses seront gérées à Soulans, en cas de crise ou si un ennemi nous attaquait dans le dos ? Dois-je nommer un conseil de régence ? Laisser un ou deux chefs derrière pour surveiller la frontière ? »

Daguerre : « Je pense que l'évêque de la ville pourrais garder la ville pour vous monseigneur. »

Le chancelier fit un signe de tête au surintendant.

Espien :  « Après, cela ne fait que deux mois que la régence a prit fin. Ce sera dans la continuité. Je vais m'occuper du gouvernement pour vous, menez campagne l'esprit tranquille.
Si nous sommes attaqués, la ville se défendra elle même. C'est inscrit dans la charte de franchise accordée par votre père. Mais je ne pense pas que Landebroc ose s'en prendre à Soulans, il n'a certainement pas les effectifs pour faire le siège de la ville. »

« Oui, en effet, ce serait logique…
...Mais ce n’est pas tout à fait ce que j’avais en tête. »

Voilà. On y est.
Si je souhaite casser le triumvirat, j’en ai à présent une occasion. Charles d’Annequin, le connétable, est obligé de venir avec moi. Mais reste Espien, celui qui croit contrôler la pègre, alors que je suis allé dans son dos pour m’assurer de la loyauté de Rigaud. Il est hors de question de le laisser courir les bas fonds en mon absence. Surtout que je pourrais très bien être blessé au front, ou me retrouver à hiverner là bas si la campagne se passait mal.

« Monseigneur Espien, je souhaiterais que vous m’accompagniez dans le Vaujour.
Vous êtes un fin diplomate. Et vous connaissez bien les affaires qui se déroulent dans la région, pour les avoir gérées cinq ans durant. De plus, vous avez une stature importante, vous êtes évêque, peu de gens dans les Franges ont votre prestige : Vous seriez un véritable atout à mes côtés, tant pour me conseiller, que pour négocier avec les châtelains du Valais que nous voudrons retourner. Vous serez, de plus, à même de parlementer avec le légat que Vendaume va nous imposer.
Pour pallier à cette absence je propose de créer un nouveau conseil de régence constitué de trois nobles, trois clercs et trois prud’hommes.
Pourquoi pas… Frère Yvon, Frère Jourdain et Frère Paul pour les clercs. Guillaume de Tancarvelles, Louis d’Annequin et Cécil de Saint-Saëns pour les nobles. Et puis…
Et puis on pourrait demander à Jacques Delphin et deux de ses échevins de venir pour représenter les bourgeois. Bien sûr leur rôle serait parfaitement cérémoniel ; Mais cela permet de les intégrer au pouvoir, ainsi on pourrait mieux les surveiller. C’est facile pour un agitateur d’agiter tant qu’il est dans l’opposition ; Dès qu’on le met en charge de quelque chose il doit des comptes, et là, il comprend vite qu’il doit se calmer.
Qu’en pensez-vous ? »

Et surtout ça fait dégager Daguerre. Il resterait grand intendant, mais il aurait un Conseil devant lequel répondre.

Espien sourit. Il aimait entendre dire qu'il était un "atout prestigieux".

Espien : « Il est vrai que je pourrais vous être utile dans le Vaujour. Mais je ne suis pas un combattant, ma place n'est pas avec l'armée mais avec mes ouailles dans mon diocèse. J'ai été le chef du conseil de régence pendant la maladie de votre père et ce jusqu'à votre retour. Je pense avoir l'expérience, les qualités et l'autorité nécessaire pour l'être à nouveau durant votre absence.
Il faut justement une stature importante pour diriger le duché, au risque que certains ne profitent de votre éloignement.
Je veux bien être entouré d'un conseil de régence que je présiderais si tel est votre désir, mais je refuse d'y voir Jacques Delphin et ses échevins. Si vous voulez nommer des bourgeois, prenez maître Daguerre, monsieur de Picquy et monsieur Giraud. Ils sont proches du pouvoir et connaissent parfaitement tous les dossiers.
Et pourquoi ne pas emmené mon archidiacre avec vous en campagne ? Frère Paul est un excellent diplomate qui connaît aussi bien que moi les dossiers pour être un membre habituel du conseil. Surtout, il n'est pas en froid avec l'archevêque. A vous accompagner je risquerais d'empêcher les bonnes négociations avec le légat, tant sa sainteté se méfie de moi. »

Charles Daguerre sourit avec insistance à son duc comme pour montrer sa présence. Celui-ci avait oublié de le nommer pour un potentiel conseil de régence, heureusement que le chancelier était là pour corriger l'erreur.

Espien n’a peut-être pas perçu ma manœuvre, mais il ne se laisse pas faire. Le soucis c’est que, je peux aisément commander le chancelier ; Il est plus compliqué de donner les ordres que je souhaite à l’évêque de Soulans. Or, ils sont actuellement la même personne.

« Je sais que la question de Jacques Delphin n’est pas à l’ordre du jour de ce Conseil. Mais lorsque je suis arrivé à Saint-Clair, vous m’aviez dit qu’il n’était pas une priorité, que nous avions des ennuis plus pressants.
Il est vrai que nous sommes pressés, mais je ne partage pas votre avis ; Ce Delphin est un danger public. Il agite des personnes qui sont juste en-dehors de ces murs, à deux pas à peine. Il se permet de me dire qui doit et ne doit pas discuter à mon Conseil. Il est populaire. Et avec la charte, c’est lui qui contrôle la défense de la ville. Soulans a assiégé mon père, lui-même pourrait le faire à nouveau si l’envie lui en prenait.

Je souhaite trouver un moyen de le neutraliser. Or, je ne pense pas que s’opposer ouvertement à lui soit forcément une bonne idée. Le tuer, le bastonner, le jeter en prison – tout ceci ne contribuerait qu’à faire de lui un martyr, et augmenterait plus encore sa popularité, et pourrait tout aussi bien inspirer ceux qui ont rejoint son parti. Je souhaite lui faire un cadeau empoisonné en lui permettant de croire qu’il peut travailler avec moi, plutôt que de simplement faire les discours démagogiques qui le placent dans l’opposition logique. Je souhaite l’adoucir, et montrer à mon peuple qu’il n’est pas si différent de tous les autres petits chefs qu’à pu connaître cette ville.
Mais même s’il n’a pour l’instant ni armées, ni intrigues découvertes, il ne faut pas se méprendre : Delphin pourrait vite devenir le plus grand danger que la Cahogne connaisse. »

Je dit cette dernière phrase avec une très forte conviction. J'attends d'eux des idées en réaction à ma proclamation.

Le chancelier réfléchi quelques instants avant de répondre.

Espien : « Il est vrai que le prévôt représente un certain danger, mais pour le moment nous réussissons à canaliser ses ardeurs. Mais Jacques Delphin ne sera pas éternelle, son mandat se termine d'ici un an. Ensuite nous allons pouvoir faire élire l'un de nos partisans à la prévôté. Trouvons quelqu'un à lui opposer. »
Paul de Saint-Saëns : « Le peuple ne sera pas disposé à élire quelqu'un d'autres que monsieur Delphin. Comme le propose monseigneur le duc, il faudrait d'abord le décrédibiliser auprès du public. Le meilleur moyen est de nous l'attacher. »
Espien : « Mais Jacques Delphin est un homme intelligent. Il sera capable de profiter d'un poste dans notre gouvernement pour nous déstabiliser encore plus. C'est un risque que je ne prendrais pas. »

La dernière phrase du chancelier avait été prononcée sur un ton catégorique, comme s'il prenait une décision irrévocable. Peut être le vestige d'une habitude lorsque le duc n'était pas à la table du conseil.

Je soupire, et prend un air peiné.


« Je comprend, monseigneur. Je comprend vos craintes. Delphin est dangereux, Delphin est malin… En le mettant en place au pouvoir, je joue un jeu très dangereux qui pourrait aisément se retourner contre nous. Il est normal que vous ne désiriez pas prendre un tel risque, et je ne peux pas vous forcer à jouer à ce jeu. »


Petite pause. Je donne vraiment tout ce que j’ai pour jouer la comédie. Pour faire comme si, véritablement, j’étais mal à l’aise face à son refus.


« C’est pour cela que je ne vous forcerai pas à diriger la ville en mon absence : C’est une tâche éreintante et ingrate.
Sire Cécil ? »


Je tourne la tête vers mon maître espion.


« Accepteriez-vous de présider un conseil de régence en mon absence ? Je suis certain que vous avez les compétences et le tact suffisant pour tenir Soulans. Et pour surveiller Delphin. »

Le conseil resta silencieux un instant, médusait par cette décision du duc qui retirait sans équivoque la régence à l'évêque.
Espien resta de marbre, mais n'affichait plus de sourire, alors que Daguerre le regardait d'un air inquiet, espérant une réaction du chancelier.

Cécil : « Euh... si tel est votre désir monseigneur, j'assumerai cette tâche. »

Odilon regardait Eudes avec un sourire qu'il avait dû mal à cacher. C'était plaisant de voir Espien de Raysac remit à sa place par le duc de Cahogne. Mais c'était un pari osé.

« Excellent. Je vous remercie de votre dévouement envers la Cahogne, sire. Vous rendrez un fier service entre votre Prince, j’en suis certain.
Accueillez Delphin et ses échevins. Promettez-leur que je tiens à la charte. Faites d’eux vos amis. C’est ainsi que nous parviendrons le mieux à les vaincre. »


Hochement de tête appuyé en soutien à mon maître-espion.


« Et puisque nous sommes tous ici réunis, j’en profiterai pour prendre une ultime et dernière décision :
Frère Jourdain, je souhaite que vous réintégriez pleinement le Conseil ordinaire. Je suis sûr que le Trésor peut vous assurer des gages mensuels en échange de votre service envers moi et le Duché. »


Je toque la table.


« Personne n’a rien à ajouter ? Les affaires sont-elles tranchées pour aujourd’hui ? »

Jourdain : « Merci monseigneur, c'est un honneur pour moi de retrouver ma charge. »

Tous se levèrent alors que le scribe notait les décisions du jour dans son livre.

Pour la Transgarde, il avait été décidé d'accepter la proposition de Dragomir. Le comte Hubert allait épouser la sœur du roi et recevoir la Transgarde. On avait décidé qu'à l'occasion, Eudes et Hubert partiraient à Soulans-la-Neuves pour y visiter les colonies et si possible rencontrer Dragomir.
Aussi, on allait demander au roi d'Estovie de s'engager officiellement dans le combat contre la Strelka.
Le sort des Porte-Croix avait été laissé en suspend pour le moment.

Pour le Porez, il avait été décidé de réclamer fermement le relief à Clotilde.
On allait demander l'organisation d'une rencontre entre le duc et le comte Thomas d'Estaing.

Pour la guerre du Vaujour, l'objectif était de rejoindre Raveaux avec l'armée et s'assurer du contrôle du Vaujour. En l'absence du prince, Cécil de Saint-Saëns allait diriger un conseil de régence composé des Frère Yvon, Jourdain et Paul, des chevaliers Guillaume Tancarvelles et Louis d'Annequin, et des notables Jacques Delphin et deux échevins de son choix.

Mauger : « Monseigneur Eudes, j'aurais besoin de m'entretenir avec vous en privé si vous me le permettez. »

Alors que tout le monde sortait, Odilon le Chétif s'approcha de Eudes.

Odilon : « Monseigneur, j'aimerais vous parler de quelque chose qui me chiffonne. »

Le chambellan emmena Eudes un peu en retrait, à l'abri des oreilles indiscrètes.

Odilon : « C'est à propos du sire de Saint-Saëns, Cécil. La Vipère nous avait bien dit que Robert rassemblait 20 000 hommes. Or l'espion de Cécil nous annonce moitié moins.
La mort de Marie est aussi suspecte. Cela cacherait-il quelque chose ?
C'est une bonne chose d'avoir refusé la régence à Espien, mais l'avoir confié à Cécil est peut être imprudent. Il faudra garder un œil sur lui. »

Espien est étonnamment silencieux. Je le regarde longuement, attendant une réaction de sa part. Mais non, rien du tout. Il se lève et s’en va comme tous les autres.
Comme à son habitude, Mauger vient me parler. Il va sûrement me réclamer, encore, que je me bouge ; il faut dire, l’échéance des deux mois est passée. Mais il a mal choisi son moment pour venir me réclamer ça.


« Bien sûr, sire Mauger. »


Mais avant de devoir affronter Mauger, c’est Odilon qui souhaite me voir.


« Asseyez-vous, je suis à vous dans un instant. »


Je me lève de mon siège et suit mon chambellan un peu plus loin. Je me colle à un mur et croise les bras, tandis qu’il me fait part de ses inquiétudes. Il est vrai que la différence de dix mille hommes est assez impressionnante, et pourrait tout à fait modifier le rapport de forces. Mais c’est la mort de Marie qui l’inquiète.


« Suspecte, c’est à dire ?
Tu penses que Landebroc nous ment pour éviter qu’il y ait une réaction de la Basse-Julienne ? Il est vrai que ramener sa nièce en sécurité était une condition à la paix. »


Je grince des dents. J’ignore trop quoi en penser. Ça me semble un mensonge assez énorme.


« On ne peut pas envoyer de soldats jusqu’au monastère pour s’en assurer, de toute manière. Mais…
Mais…
Mais pourquoi ne pas envoyer des Housecarles ?
Si tu penses que Cécil agit contre nos intérêts, alors peut-être que tu pourrais t’en charger toi. On pourrait prendre quelques-uns des Norges qui nous servent, les faire passer pour des bûcherons, des charrons – il y a beaucoup de bois en Valais. Ils iraient derrière les lignes ennemies, discrètement, pour aller s’assurer en personne que Marie est bien morte.
Cela te semble réalisable, non ? »

Odilon : « Landebroc, ou bien c'est Cécil qui nous ment. Votre maître espion est peut être plus proche du triumvirat que nous le pensions. Peut être a t-il intérêt à vous faire perdre la guerre.
C'est une bonne idée que d'envoyer vos housecarles, oui. Il faudrait il faire accompagner par les contrebandiers de la Vipère. Ils sont les seuls à connaître l'emplacement exacte du prieuré.
Montons discrètement cette expédition, sans rien dire au conseil tant que nous ne sommes pas assuré de leur fidélité. »

Le chambellan fit un signe de tête au duc, puis quitta la pièce, laissant Eudes rejoindre Mauger restait assis à la table du conseil.
Mauger était tout sourire sous sa grosse barbe, apparemment de bonne humeur. Cela lui plaisait de voir le duc s'affirmer.

« Monseigneur, je voulais m'entretenir à nouveau avec vous sur nos arrangements.
Vous m'aviez donné deux mois pour annoncer le mariage de Eustache et de votre sœur Jeanne, ainsi que deux mois pour démettre Annequin de son poste pour y mettre mon fils.
Il se trouve que cela fait deux mois aujourd'hui. J'ai pensé que vous alliez profiter de ce conseil pour annoncer la nouvelle. Je suis fort déçu.
Mais vous m'aviez dit la dernière fois qu'il fallait nous unir pour sécuriser le Vaujour. Ce que je comprends. Démettre le connétable alors que nous partons en campagne n'est peut être pas le bon moment.
Mais la guerre est une bonne occasion pour prouver sa valeur, j'aurais aimé voir mon fils mener les troupes. Surtout, si nous gagnons grâce à d'Annequin, comment allez vous le démettre de ses fonctions ? Mon fils passera pour un usurpateur, un parvenu, ce qui lui serait fort dommageable.
Si vous ne voulez pas remplacer le connétable, j'aimerai au moins que mon fils soit officiellement investi du commandement de l'armée, afin d'éviter à d'Annequin de retirer les gains de la victoire. »

Mauger était étrangement calme. Peut être que les coups de colère du duc lors du conseil le forçaient à plus de diplomatie.

« J'aimerai aussi que les fiançailles entre Eustache et Jeanne soient officialisées.
J'imagine bien que cela n'enchante pas votre sœur d'épouser mon fils, mais elle connaît mal mon Eustache. J'ai donc une idée à vous proposer. Lors de votre retour de campagne, organisons un grand tournois auquel assistera votre sœur. Eustache pourra y montrer sa bravoure, sa valeur chevaleresque. Je sais que Jeanne n'est pas insensible à la chevalerie. »

Je répond au propos d’Odilon par un simple hochement de tête. Ce sera une opération risquée, aussi il vaut mieux que personne d’autre que nous ne soit au courant. Mes Housecarles sont loyaux à moi et à personne d’autre, et depuis notre virée secrète où j’ai pris le manteau de maître Corvus, la Vipère a comprit qu’il était dans son intérêt de travailler avec nous plutôt qu’avec Cécil, qui peut-être est un intermédiaire bien trop gênant…
…Si je parvenais à mettre la main sur Marie, la campagne pencherait immédiatement plus dans ma faveur. Alors qu’Odilon s’éloigne, je lie mes mains et prie secrètement le Paraclet de défendre la jeune fille. C’est un peu hypocrite de ma part ; C’est certes sa sécurité qui me concerne, mais pour des intérêts parfaitement personnels, et non juste pour épargner à une pucelle de quinze ans de mourir par la main de son demi-frère.


Il ne reste donc plus que moi et Mauger dans la pièce. Je retourne à mon fauteuil tandis qu’il discute. Je hoche la tête, plutôt d’accord avec ce qu’il dit – et satisfait de le voir plus diplomate que la dernière fois.


« Oui. C’est aussi ce que je crains ; Si Charles d’Annequin remportait quelque éclat glorieux lors de cette campagne, il deviendrait indéboulonnable. On ne licencie pas un chevalier qui apporte la victoire, c’est parfaitement stupide. »


Je tapote la table.


« Dieu merci, ce conseil a permit de montrer la différence de vision entre votre fils et le connétable. Je nommerai donc Eustache maréchal de bataille. Ce sera lui qui sera chargé de la disposition de l’armée tactiquement, en cas de siège ou de bataille ; Charles d’Annequin, lui, en tant que connétable, sera chargé des tâches plus administratives et terre-à-terre.
Concrètement, Charles d’Annequin s’occupera de sécuriser le Vaujour, tâche qui est vitale, essentielle, mais d’où il ne tirera aucun prestige. À l’inverse, ce sera Eustache qui pourra briller si jamais il y avait une bataille. »


Cela me semble être un bon compromis, facile à faire passer avec mon tact et ma belle gueule. Je peux brosser l’un et l’autre dans le sens du poil selon la nécessité de l’instant. À Charles, je dirai qu’Eustache est une tête brûlée folle furieuse, et que seul lui a la tête sur les épaules et l’intelligence nécessaire pour calmer le Vaujour ; À Eustache, je raconterai que Charles est un pleutre peureux, et que seul Dieu l’a mit sur terre pour occire les ennemis de la Cahogne.
À force de raconter des choses différentes à tout le monde, ça me retombera peut-être dessus un jour.


« Je ne vais pas vous mentir – Jeanne est très en colère depuis qu’elle a appris mes projets de mariage. Mais je pense également que c’est à cause d’une mésentente entre les deux. Eustache ne sait parfois pas tenir sa langue, mais il a une force de caractère que je trouve impressionnante. L’ardeur qu’il a employé pour réunir l’armée des Landes me l’a bien assez prouvé.
Jeanne aime la chevalerie, oui. Elle est aussi une femme très pieuse. Cela va paraître bête, mais… Mais apprenez à votre fils quelques vers de fin’amor à réciter. Guillaume, son frère, il est très doué avec ça, j’ai pu l’entendre, c’est un garçon très doux et noble, pour cela que j’ai demandé à ce qu’il prenne des responsabilités à Soulans d’ailleurs.


Eustache est-il au courant du mariage que vous projetez ? Il pourrait se déclarer à elle. Oui, oui je pense que nous pouvons faire cela avant de partir en guerre. »

« Oui, Eustache est au courant et ravi à l'idée d'épouser Jeanne.
D'ailleurs, nous n'avons pas parlé de sa dote ? Que me proposez vous monseigneur ?
De notre côté, Eustache s'engage à doter Jeanne d'un douaire important, jusqu'à un tiers de ses biens, ce qui lui permettra de vivre à la hauteur de son rang.
Aussi... j'aimerai aborder un sujet plus personnel... »

Mauger sembla un peu hésitant.

« Vous savez, je suis né bâtard. C'est l'archevêque qui m'a accordé m'a légitimité après la mort de mon père, ce qui m'a permit d'hériter de ses biens. Mais le Parlement auquel a appelé mon jeune frère Onfroi n'a jamais pu statuer sur notre querelle. Votre père n'a jamais pu, ou voulu, nous départager Onfroi et moi, ce qui aujourd'hui encore pose problème dans mes relations avec mon neveu Richard et sa mère, Agnès d'Annequin.
J'aimerai que vous demandiez au Parlement de me déclarer officiellement comme héritier de mon père, qu'il reconnaisse ma légitimité et qu'il m'accorde la pleine possession de mes biens. J'aimerai qu'il précise que je suis bien le successeur des Tancarvelles et que mon frère n'était que second, que Richard comprenne bien sa position.
En échange, je suis près à accorder à Richard quelques terres. Comme il est de coutume dans le Pays-Plat, son père mérite bien un apanage. »

« La dot ? Oui, oui bien sûr... »


Évidemment la dot. Évidemment qu’il y en a une. Mais il choisit bien son moment pour la demander, ce renard.
D’un autre côté il met beaucoup sur la table. Et c’est sa deuxième proposition qui m’intéresse d’autant plus. J’approuve d’un hochement de tête.


« Il est évident que si ma sœur aînée épouse votre fils, il est également dans mon intérêt de faire en sorte qu’on ne puisse pas contester son héritage ou sa position de chef de la maison. Je vous reconnaîtrai légitime devant le Parlement.
Mais je suis d’autant plus heureux que vous reconnaissiez que Richard aie le droit à un apanage. Je ne souhaite pas m’aliéner Beaucœur. C’est un preux chevalier, un homme compétent, que je souhaite avoir comme homme de confiance à mes côtés. Pourquoi ne pas vous rencontrer tous les deux sous mes auspices ? Si vous devez quitter Soulans pour la sénéchaussée de Vassy, il serait bon qu’Eustache et Richard s’entendent et deviennent amis avant cela, non ? »


Je commence à véritablement assumer mon héritage Platois. Les vieilles familles Landaises risquent de peu apprécier la manière avec laquelle j’avance les Tancarvelles sur l’échiquier.


« Je pourrais confier des terres à Eustache pour la dot de ma sœur… Ma famille contrôle beaucoup de terres.
Pourquoi pas… Vingt milles hectares de la province d’Escuagne. Est-ce que ce serait un prix suffisant pour vous ? En plus de nommer Eustache connétable et d’asseoir définitivement son héritage. »

« Ce serait parfait monseigneur. Merci de votre générosité.
Je dirai à Eustache de tenter de se rapprocher de son cousin, mais vous savez, cela ne dépend pas uniquement de mon ressort.
Richard est orgueilleux, tout comme l'était son père, il refusera certainement notre amitié, surtout s'il est influencé par la famille de sa mère. »