Les propos d’Odilon m’emplissent de rage. Ils me font bouillir intérieurement.

« Eux deux. Seulement ?
Et Espien de Raysac ? Et Charles d’Annequin, le connétable ? Est-ce que tout ça est lié à l’arrestation de Claude de Toussaint ? »

J’étais pressé de partir au Valais. À présent, je me demande si je n’ai pas d’autres projets…

« J’ai à présent vingt milles hommes aux soldes payées sous mes ordres. J’ai le sire Eustache de Tancarvelles qui est un excellent commandant, mais un irascible manipulable à qui je compte offrir ma jeune sœur pour m’assurer de sa loyauté. Avec une telle force de frappe je peux faire énormément de chose, surtout que je suis momentanément en état de grâce, avec mon sacre.
Trouvez des preuves. Trouvez-moi de quoi faire tomber des têtes, Odilon. Et vous et Frère Yvon deviendrez éternellement mes plus proches conseillers. »

« Je pense que Espien de Raysac en a profité, a peut être favorisé Daguerre et son vil complot. Mais je ne le vois pas en assassin. Le connétable est une autre histoire, mais son complot contre son neveu est évident, selon moi. Quant à Cécil de Saint-Saëns je ne sais pas s'il est impliqué avec les trois autres. Mais sa défiance à mon égard lorsque vous m'avez autorisé à user des ressources du Bureau Secret pourrait cacher quelque chose.
Je pense en tout cas qu'ils se soutiennent tous les uns les autres. La mort de votre père, la corruption, le procès de Toussaint, la rivalité avec Mauger Tancarvelle, tout est lié d'une façon ou d'une autre.
Mais si j'insiste, ne croyez pas que c'est personnel et que j'en ai après Daguerre et... non monseigneur, en vérité c'est très personnel. J'aimais votre père, j'aime le peuple de Cahogne que volent ces corrompus, et je ferais tout pour provoquer leur chute.
ils ont profité d'un duc malade et affaibli, mais ils ne pourront rien faire contre un duc jeune et en pleine santé.  »

Ils reprirent la direction vers la grande salle de banquet du palais neuf. Il restait tant d'invités à voir.

« Voulez-vous que je reste à vos côtés monseigneur ? Il est toujours bon d'avoir un ami avec soi pour affronter les hordes étrangères. »

Je hoche la tête.

« Je ne sais pas si je suis à la hauteur. J’ai beaucoup de défauts moi aussi Odilon. Je sais que j’aime la Cahogne, mais c’est pas suffisant…
Ce qui est certain, c’est que ceux actuellement au pouvoir sont dangereux. Je n’ai pas choisi de devenir Duc, mais il est à présent de mon devoir de garder mon pays de gens comme eux. »

On devrait y aller. Mais à la place je soupire longuement. Je n’ai pas fini de me confier.

« Espien a… Un moyen de pression sur moi. Un moyen de m’utiliser et de me faire mal.
J’ai ramené une femme des Croisades. Une infidèle d’une autre race. Je suis amoureux d’elle et je lui ai fais un enfant. Je désire la protéger. Peut-être un jour la reconnaître comme une concubine, comme les anciens Ducs faisaient ; Je n’ai pas envie de jeter cette pauvre femme qui a tout perdu à cause de la cruauté des hommes loin de moi. Mais Espien est au courant de son existence, il souhaitait que je la répudie, en secret.
Espien est une Aragne qui a des espions autour de nous, au même titre que Saint-Saëns. Je sais à présent que je peux faire confiance à vous et à Frère Yvon, mais la Cour est dangereuse. Odilon, s’il vous plaît, faites attention à vos gardes lorsque vous irez chercher des informations pour moi. »

« Votre père aussi avez des doutes, il est normal pour un souverain de ne pas se sentir à la hauteur, la tâche est tellement haute. Il est même rassurant de vous savoir hésitant, l'assurance et l'orgueil sont l'apanage des tyrans. Même oint du saint chrême vous restez un homme. Un homme sacré, mais un homme. »

Puis Odilon écarquilla les yeux face aux révélations du duc. Pendant quelques secondes il ne sut trop comment réagir. Il finit par sourire.

« Il n'est pas étonnant que l'évêque vous demande de répudier cette femme, il ne connaît rien à l'amour. C'est un clerc sans cœur. Il est de votre droit d'aimer qui vous voulez et vouloir protéger cette femme, même infidèle, vous honore.
Mais il est vrai que cet amour interdit et cet enfant bâtard pourraient vous causer du tort, nuire à votre réputation de chevalier de Dieu. Espien possède une information qui le protège de vous en effet, c'est embêtant. »

Odilon resta pensif. Cet imprévu empêchait pour le moment d'agir contre l'évêque de Soulans. Puis il lança de nouveau à sourire bienveillant à son suzerain.

« Je ne vous jugerais pas monseigneur, car j'ai moi même quelques secrets qui répugnent la sainte Eglise... »

Je répond au sourire bienveillant d’Odilon.

« Vous avez gagné ma confiance. Mais je ne suis pas sûr d’avoir gagné la votre. Gardez ces secrets ; Vous me les confierez le jour où je vous aurai prouvé que je suis un souverain digne de diriger la Cahogne. »

Je regarde la porte du banquet.

« Il vaudrait mieux que nous n’entrions pas ensemble. Je n’ai pas envie qu’Espien note que nous nous sommes rapprochés ; Il pourrait penser que vous êtes devenu ma créature, et s’en prendre à vous... Mais j'aimerais bien que vous vous teniez près de moi. Au cas où j'ai à nouveau besoin de votre aide. Au cas où je risque d'à nouveau avoir un coup de sang. Il m'arrive d'être... De... Je suis un peu impulsif.

Mais sachez que cela me fait beaucoup de bien de savoir que j’ai quelqu’un de proche de moi, et non un sycophante qui fait semblant d’être mon ami pour mieux m’utiliser. Tout ce que je vous demande, Odilon, c’est votre honnêteté. Si un jour je devais faire une erreur, aller dans la mauvaise direction, ne le cachez pas. C’est tout ce que je demande de vous. »

Je le quitte enfin et entre à nouveau dans la fosse aux lions.
C’est fait pour l’Estovie, c’est fait pour le Landéron, Roxenberg, et, malheureusement, c’est fait pour la Ligue – je commence à regretter un peu mon coup de colère. Amaury de Conzac a mérité mon courroux en tant qu’homme, mais il reste un sire puissant que j’ai heurté dans son amour propre. Il va vite falloir que je me rapproche, non de lui, mais des autres membres de la Ligue. Quelque chose à voir et observer dans le futur, lorsque la baronnie d’Aigues sera sécurisée par la Cahogne, et que nos frontières approcheront des leurs.
Il me reste maintenant une dernière puissance à aller remercier : la Trémanche. Et là, c’est une autre paire de manches.

Mes sœurs se trouvent aux côtés de Clotilde. Je pense que Jeanne est toujours en froid avec moi, et il y a ce salopard de Salignac qui a attiré mon ire ; On s’est réconciliés avec du vin et des rires, comme je sais toujours faire, et surtout grâce à l’aide de mon oncle qui est toujours d’un naturel agréable, mais j’ai en travers de la gorge la lettre que j’ai reçu sur le droit de relief. J’étais prêt à tout céder à ma cousine, et voilà qu’on remet sur le tapis une nouvelle perfidie qui achève de me convaincre de la duplicité de mes adversaires. Je ne suis même pas sûr qu’ils versent en entier la somme déjà bien réduite qu’ils ont prévu.
En plus de cette grosse gêne que j’ai, j’ai un peu peur de revoir Clotilde. J’aimais beaucoup ma cousine, je me demande en quoi elle a changé, si je vais reconnaître la femme pour laquelle j’éprouvais de l’affection. En tout cas, je me dirige droit vers le groupe.

« Clotilde ! Très chère Clotilde ! »

Je lui fais un grand sourire alors que j’arrive pour aller lui prendre les mains.

« Je suis sincèrement désolé, plein de gens m’ont mit le grappin dessus à tour de rôle, dont cet affreux baron Ligueur, j’espère qu’il a immédiatement quitté ce palais et qu’il ne reviendra plus…
Tu as changé Clotilde, tu es devenue une très belle femme ! Tu m’as manqué ! »

Je fais un sourire et un signe à Blanche. Puis serre la main de Salignac.

« Messire, un plaisir de vous revoir.
Jeanne, tout va bien, tu ne t’es pas trop ennuyée ? »

Je fais un sourire moins appuyé à Jeanne, un peu plus pincé et poli. Je n’ai pas envie de la brusquer. J’ai peur qu’elle soit encore en colère contre moi.

Eudes retourna dans l'arène affronter ses invités. Suivant ses ordres Odilon ne lui suivit pas tout de suite, mais resta proche.
Voyant arriver le duc de Cahogne, Clotilde lui fit un large sourire.

« Mon cher cousin ! Cela fait si longtemps. Toi aussi tu es devenu bel homme, mais je crois savoir que tu l'as toujours été. »

A l'inverse, Jeanne ne renvoya aucun sourire à son frère. S'il voulait savoir si sa sœur était toujours fâchée contre lui il en avait là la réponse.

« Ennuyée ? Non, j'aime le calme des églises et les cérémonies religieuses. Je préfère cela aux idioties des jeux taurins. »

Sa réponse était sec, peut être une pique envers son potentiel futur époux. Jeanne avait jeté un froid en répondant ainsi à son frère. Mais Clotilde reprit avant que le silence ne devint gênant.

« La couronne te sied à merveille cousin. Cette cérémonie était fabuleuse.
Excuse mon époux de ne pas avoir pu assister à ton sacre, mais des affaires en Trémanche le retiennent. »

Clotilde avait des airs de Blanche, des mimiques semblables qui démontraient que les deux jeunes femmes avaient été élevées ensemble. Cela expliquait sûrement l'attirance de Eudes pour sa cousine, elle était de la même trempe que sa sœur, belles et gentilles en apparence mais fourbes et manipulatrices en vérité.

« Tu connais déjà le sire de Salignac.
- Ravi de vous revoir monseigneur Eudes » lui dit avec un signe de tête le bouteiller de Trémanche. Son sourire narquois laissait penser qu'il avait toujours en tête le revirement du duc chez la Baronne, lorsque celui-ci lui avait couru après pour se soumettre. Un moment jubilatoire pour le bouteiller, et une victoire diplomatique du comte de Trémanche.

« Eudes, j'ai été peinée de ne pas recevoir de réponse à la lettre que je t'ai envoyé. J'espère que je ne t'ai pas offensé d'une quelconque manière. J'aimerai que nos relations restent les plus amicales possibles malgré nos quelques différents.
As tu signé les traités que nous t'avons envoyé ? »

Mon sourire se fige à la comparaison de Jeanne. Je me sens affreusement mal. Tellement mal.

Heureusement, la discussion se déroule rapidement ensuite, grâce à Clotilde, je ricane gaiement lorsqu’elle excuse son mari :

« Il n’y a pas de soucis, je comprends, je comprends. J’espère que ce n’est pas la Ligue qui l’ennuie ? Cette bande d’enfoirés… Vous avez peut-être observé le sire Amaury de Conzac me parler pour ensuite filer ? Ce sale enfoiré souhaitait que je déclare la guerre à ton mari.
Ah, et également, il souhaitait épouser Blanche. »

Je regarde ma sœur chérie pour voir sa réaction.

« On peut bien dire que c’est le genre d’homme qui a plus de prétentions qu’autre chose. Entrer en guerre contre le preux Thomas d’Estaing, il faut déjà de la témérité, mais croire qu’à son âge il ait encore les capacités de bander, il faut avouer que c’est fort ! »

Je fais un rire mauvais, auquel je sais que Blanche va me joindre. Jeanne sera plus gênée. Clotilde… Clotilde normalement c’est censé la faire rire. De l’époque que je l’aie connue, néanmoins. Elle a eu le temps de changer en cinq ans.

Mon sourire se pince alors qu’elle me parle des traités. Je tique un peu des lèvres.

« Oui, en effet, j’ai eu une discussion très productive avec le sire de Salignac. Mais il faut que tu comprennes, l’administration qu’a laissé mon père est tentaculaire, pour cela qu’ils ont envoyé en toute hâte une plainte au Sénat Impérial alors que nous pouvions régler cela entre toi et moi, sans mêler les grands sires et pairs de Cahogne et Trémanche. »

Un mensonge éhonté, mais ça fait diplomatique.

« Mais il y a un soucis qu’a noté mon grand intendant alors que j’allais apposer mon sceau…
Le relief. C’est étrange, sire Salignac est un homme qui m’a répété maintes fois à quel point il tenait à la coutume. Or, après avoir bien cherché dans le code de Raoul Beauclerc, je n’ai vu nul part écrit que le relief devait concerner trois mois de revenus d’un fief… On m’a bien assuré que c’était un an, oh on m’a montré les textes ! »

Je fais semblant d’être un gros débile. Mais j’ai parfaitement compris qu’elle a tenté de me la faire à l’envers.

Clotilde se montra surprit, tout comme Salignac. Blanche manqua de s'étouffer avec son vin à l'idée d'épouser le vieux Amaury de Conzac.

« Vraiment ? Le baron voulait nous déclarer la guerre ? C'est bien étonnant, mon époux entretient de bonnes relations avec les Ligueurs.
- C'est donc pour ça qu'il a tenté de me faire la cour tout à l'heure, intervint Blanche, et pourquoi ne pas lui faire épouser Jeanne ? Elle n'est plus à ça prêt. »

Blanche et Eudes rirent ensemble à leur humour douteux. Jeanne resta de marbre et lança un regard noir à sa sœur. Clotilde se contenta d'un sourire. Évidemment qu'elle avait changé depuis 5 ans. Contrairement à Blanche, Clotilde était devenue une épouse et un puissant seigneur temporel, les responsabilités l'avaient changé et elle ne pouvait plus rire simplement à une blague graveleuse. Elle était là avant tout comme comtesse du Porez et épouse du comte de Trémanche, pas comme simple cousine du duc.

« Une discussion productive pour sûr monseigneur, dit Salignac avec le sourire en coin.
- Je ne t'en veux pas cousin, il est normal que le duché cherche à préserver ses droits. J'ai été peinée d'apprendre cette plainte devant le Sénat, mais je suis certaine que nous pouvons nous entendre sans faire appel à l'Empereur, surtout que celui-ci a déjà bien à faire avec les Communes Fédérées.
- J'ai a cœur de préserver les vraies coutumes sire Eudes, mais...
- Taisez vous sire, je parle, l'arrêta d'un coup Clotilde, accompagnant son ton autoritaire d'un geste de la main, laissez nous donc en famille et allez reprendre un verre de vin. »

Salignac se tue. Il resta silencieux un instant, peut être hésitant à obéir à une si jeune femme qui l'humiliait devant les autres. Mais cette femme n'était pas n'importe qui, elle était l'épouse de son suzerain.

« Bien madame. »

D'un geste de la tête il salua Eudes et ses sœurs. Puis sans un regard au bouteiller qui s'éloignait, Clotilde reprit.

« Je connais ton surintendant. Cela ne m'étonne pas qu'il cherche à nous faire payer le maximum.
Le code de Raoul Beauclerc a été écrit il y a plus de 150 ans, à une époque de chaos où il n'y avait même plus d'Empereur. Je ne remets pas en doute son importance et son authenticité, mais ses rédacteurs n'ont pas dû noter toutes les coutumes du pays, un travail bien trop complexe pour ces gens. Moi je m'appuie sur les coutumes du Porez, des lois propres à mon pays. Puisqu'il s'agit de celui-ci, je trouve normal d'appliquer ces coutumes là et non celles de la Cahogne.
Ne viens tu pas de jurer devant l'archevêque de respecter la bonne justice ? Et moi j'ai mit mes mains dans les tiennes pour te faire allégeance, te promettant le service d'ost et le conseil contre ta protection et ta bonne justice. J'en appelle donc à cette bonne justice que tu me dois, en tant que souverain de Cahogne tu te dois de respecter toutes les coutumes des états sous ton autorité. »

Je peux pas m’empêcher de sourire à voir Clotilde maltraiter ce sire Salignac. Au moins ça rabat un peu son caquet et ça le remet à sa place, chose qu’il a peut-être oublié en croyant que c’est pour lui que j’ai décidé de céder.
Il est beaucoup plus aisé pour ma part de me disputer avec quelqu’un qui est directement concernée par le soucis. Ma très chère cousine. Et malheureusement, elle utilise des mots que je n’imaginais pas sortir de sa bouche. Est-ce Thomas d’Estaing qui lui a ainsi bourré le mou, ou alors est-ce qu’elle s’en est chargée toute seule ? En tout cas, ça ne manque pas de me faire grimacer, et hausser les épaules.

« Je t’en prie Clotilde, arrête de parler comme ça. Nous sommes cousins, nous avons grandit ensemble. Nous pouvons nous parler honnêtement sans sortir les arguments de légistes.
Parce que si je devais sortir les arguments de légistes, je pourrais très bien faire comme mes conseillers d’État et te rappeler que tu n’as normalement pas le droit d’hériter le Porez, en tant qu’apanagiste et en suivant ce qui était inscrit noir sur blanc dans le cas de défaut d’héritiers mâles. Tu t’es saisie du comté en mon absence pendant que mon père était malade, tu en as contrôlé les bastions et t’es installée afin que, tout juste débarqué de retour dans les Franges après avoir combattu l’infidèle, je sois mis devant le fait accomplit.

J’ignore ce que Salignac t’as raconté, mais sois fort assurée que ce n’est certainement pas lui qui m’a convaincu de te laisser obtenir non seulement le droit de posséder le Porez avec moi en retrait, mais en plus de choisir les époux que tu souhaites pour tes enfants, et qu’en cas de nouveau défaut d’héritier, une femme puisse à nouveau prendre le fief. Non, si j’ai tout cédé, c’est uniquement parce que tu es ma cousine et que je te voue assez de tendresse pour comprendre que toi et moi pouvons être alliés, sans perfidie, et sans ennuis. »

Je me tourne pour lever la main vers un valet, afin qu’il vienne m’apporter le plateau où il y a des verres d’alcool. J’ai le gosier un peu trop sec, et je parle trop depuis tout à l’heure.

« Maintenant, si pour toi c’est vraiment un problème de coutume, alors on ne le résoudra pas aujourd’hui. Tu appelles tes légistes, j’appelle les miens, et ils vont arbitrer entre eux en allant fouiller dans les textes. Mais ça laisse la succession toujours ouverte, et si jamais ils ne débouchent pas sur une solution entre eux, alors ils iront chercher des conseils plus haut encore entre eux, et alors, qui dit que l’Empereur ou l’Archevêque ne vont pas vouloir s’en mêler ?
Si c’est pas un problème de coutume alors c’est autre chose, c’est un problème d’argent, non ? »

Clotilde fit la moue. Elle avait été piquée lorsque son cousin contesta son droit à posséder le Porez.

« Je suis parfaitement légitime à régner sur le Porez. C'est le traité d'apanage du duc Lothaire qui était faux. Comment pouvait-il écarter les femmes de la succession alors que lui même héritait du duché d'une femme qui l'avait adopté ? C'est bafouer toutes les lois féodales de Cahogne sur lesquel s'appuie notre société. Même nos ancêtres peuvent faire des erreurs, et il est de notre devoir de les corriger pour un retour à la bonne coutume.
Je n'ai pas saisi le Porez par opportunisme, j'en ai prit possession de plein droit. »

Clotilde était sec et froide. Blanche était un peu gênée d'entendre cette conversation, gênée et ennuyée, cette discussion trop sérieuse ne l'amusait pas du tout.
Mais Clotilde ne voulait pas se disputer, elle se détendit pour reprendre un sourire plus léger.

« Mais tu as raison mon cousin, nous ne sommes pas des spécialistes du droit. Laissons donc nos légistes régler la situation, je suis sûr qu'ils parviendront à trouver un accord.
Je te remercie pour ta tendresse. J'ai toujours moi aussi beaucoup d'affection pour toi, malgré ce qui peut nous opposer.
Mais je peux t'assurer que ce n'est pas un problème d'argent, mon mari est riche, je le suis moi même grâce à mes domaines. Mais je ne payerais que ce que la coutume veut que je paye. Hors le prix que tu demandes n'est pas le bon.
Si tu souhaites en appeler à l'arbitrage de l'Empereur ou de l'archevêque il en est de ton bon droit, je pourrais en faire de même. Mais comme tu l'as dit, je pense que nous pouvons régler notre désaccord entre nous. »

Elle utilise les mêmes arguments que Salignac. Je ne peux que hausser les épaules à ces propos.

« Les coutumes ont aussi été faites par des hommes, dans le passé. Si le traité d’apanage a été écrit noir sur blanc, c’est bien parce qu’on voulait éviter la situation dans laquelle on est aujourd’hui – c’est bien pour cette raison que tu m’as envoyé de l’écrit à sceller et signer, non ? Bonne ou mauvaise coutume, ce sont que des opinions, ça.

Je ne dis pas ça pour te menacer ou te manquer de respect, crois-moi. C’est ton père qui possédait le Porez, tu y a grandis, les seigneurs te connaissent et t’aiment, pour moi c’est tout ça qui te rend légitime à devenir comtesse, pas des lois ou des coutumes qui ne servent qu’à de tristes bonhommes en robes de juristes pour justifier leurs salaires. Je sais que tu n’as pas l’impression que je te fais une concession, que tu ne fais que ce qui est juste, mais j’aimerais que tu regardes aussi les choses de mon point de vue. Je ne dis pas que j’ai raison – mais est-ce que, en te mettant du côté des sires de Cahogne, tu comprends qu’on puisse s’offusquer de ta prise de pouvoir ? »

Je m’efforce de faire un sourire, malgré la dispute.

« Que tu payes trois mois de relief, très bien.
Mais comme tu le sais je suis en guerre face au bâtard de Valais. J’ai donc aussi le droit de lever mon ost et d’exiger le paiement de la part de mes vassaux. Et là, en revanche, ce sont les coutumes de Cahogne qui s’appliquent.
Combien peux-tu payer pour l’écuage et le restor de chevaux ? »

« Non, je ne le comprends pas. Je n'ai pas prit le pouvoir, j'en ai hérité légitimement.
Je ne dis pas que les écris ne servent à rien, mais ceux reposant sur de mauvaises coutumes sont caduques de fait. Ceux que nous allons signer ne pourront être contestés par nos descendants, car ils reposeront sur de vraies coutumes établies et admises de tous. »

Certains avaient raison de reconnaître en Clotilde son ancêtre homonyme, l'Emperesse. Clotilde était sûr d'elle, parlait comme un homme sans être aucunement intimidée par son cousin duc et sacré. Elle était comtesse de Porez, comme son père et son grand-père pouvaient l'être, et sa condition de femme n'y changeait rien.

« Pour ta guerre je te dois le service militaire. Je t'enverrais mes chevaliers pour 40 jours. »

Je ris. Elle a bien changé, ma Clotilde. Elle me manque de respect. Elle ne sera jamais une vassale en qui je peux faire confiance – en cela, Amaury de Conzac avait raison, ce vieux rapace qui semble jouer un double-jeu.
Un service de quarante jours. La vieille coutume. J’imagine déjà une horde de chevaliers du Porez venir, manger ma nourriture et alourdir mes voies de ravitaillement, rester bien derrière mes forces sans se mettre en danger, pour partir avec tous leurs bagages dès la quarantième nuit de leur service. C’est pour éviter ça qu’on a inventé l’écuage et que depuis fort longtemps les ducs de Cahogne n’ont plus recours au ban et à l’arrière-ban que pour obtenir le paiement de la part de leurs vassaux. Je vois donc que ma chère cousine est décidée à utiliser les coutumes qui l’arrangent. Elle bafoue le droit de mes ancêtres le jour de ma couronne. Alors même que je n’arrête pas de céder. Alors même que je suis plein de bonne volonté et que je fais toujours le premier pas. Alors que je suis prêt à lui laisser marier ses enfants, rester en retrait, et partager la baronnie d’Aigues.
Là, je peux juste rire.

« Cela me fait plaisir de te revoir, Clotilde. Profite bien du banquet. »

Et sans rien dire de plus, sans répondre à cela, je m’éloigne aussitôt, saisissant au passage une coupe de vin sur le plateau du valet qui s’est approché. Je m’en vais aussitôt, et me dirige un peu plus loin vers une des fenêtres en buvant.
Je suis sûr que quelqu’un va venir me trouver dans trente secondes. Sûrement Blanche.

Eudes avait bien senti l'aura de sa sœur approcher. Blanche lui mit une main affectueuse sur l'épaule.

« Je craignais un peu ces retrouvailles, mais je pense que ça s'est plutôt bien passé. Le pouvoir a changé notre Clotilde... va t-il te changer toi aussi ? »

Elle sentait son frère encore tendu. Elle le savait épuisé aussi. Peu de sommeil, cinq heures de cérémonie, des dizaines de gens à qui parler de divers sujets. Il y avait de quoi être fatigué.
Elle l'enlaça tendrement en posant sa joue contre son épaule, alors que Eudes observait par la fenêtre en buvant son vin. La vue donnait tout droit sur le tombeau de saint Sabin, le premier prélat consécrateur il y a de ça maintenant quatre siècles.

« Je me demandais, maintenant que tu es sacré d'huile sainte, si je te lèche la peau ma langue sera sacrée elle aussi ? Imagine donc tous les péchés que je pourrais éviter avec une langue sacrée ! »

Je laisse Blanche venir monopoliser mon bras gauche, alors que je bois du droit. Elle est un peu sotte de croire que cette réunion s’est bien passée – ça a été atroce. Il m’a fallu m’éloigner pour ne pas exploser comme j’ai explosé devant le baron de Conzac. Il va vraiment falloir rassembler tout mon sang froid pour ne pas provoquer un esclandre gigantesque devant tout le monde. J’ai envie de bailler. Comme j’ai faim, l’alcool risque de me monter très vite au cerveau. J’ai plein de tension, mon âme est mal au point. Je suis encore sur mon petit nuage à cause de la cérémonie et du sacre. Blanche me sert d’ancre. Elle est la dernière personne de notre vieux cercle d’amis à ne pas s’être éloigné de moi.

Je souris en coin, carnassier, à sa réflexion.

« Blanche, s’il te plaît… On est à Vendaume, sur les terres de l’Église. Il y a des prêtres docteurs du culte, des tombeaux d’archevêques et des reliques de saints tout autour de nous... »

Le ton que j’emprunte pourtant, n’est absolument pas celui du reproche. Il est trop chantant. C’est comme si je la mettais au défi.

« Tu n’as pas déjà léché Arda, pour voir quel goût j’avais ? Il faudrait qu’on aille poser la question aux théologiens, qu’on leur demande si ça ne serait pas moins pernicieux... »

« Je ne suis pas sûr qu'ils apprécient que je lèche une infidèle.
Et puis je me souviens encore de ton goût. Par contre j'ai oublié celui du vin ! »

Avec un rire sournois elle arracha la coupe de vin des mains de Eudes pour terminer le verre d'une traite.

« Tu sais, Arda m'a parlé de son... "soucis". J'ai invité mon médecin personnel à l'ausculter. Il m'a dit qu'elle en avait jusqu'à Décembre. Tu as déjà un problème de ce genre, peut être que tu ne devrais pas t’embêter avec un autre. Si jamais tu veux t'en... débarrasser, je connais ceux qui pourront nous aider. »

Immédiatement après sa proposition, je tourne la tête de droite à gauche.

« Cela c’est à Arda de choisir, certainement pas à moi. Je pourrais comprendre qu’elle souhaite… Ne pas mener à terme, ici, en Cahogne. Mais si elle souhaite malgré tout, alors je ne vais pas la forcer à faire quoi que ce soit.
De toute façon il est inévitable qu’un jour je reconnaîtrai ce secret. Il est hors de question de la rejeter loin de moi. Peu importe les conséquences. Peu importe ce que les gens diront. »

Je pose une main près de sa hanche, et l’attire un peu vers moi.

« C’est qu’ils adorent parler et juger, ces gens, ces sales rapaces… Les premiers à pointer du doigt les autres pour hurler au péché, alors qu’ils rêvent de fauter dans leurs fors intérieurs étriqués… Tu crois que ce vieux porc ridé de Conzac va courir chercher sa bénédiction après qu’il ait imaginé des choses avec toi ? »

Je lui fais un semi-clin d’œil taquin.

« Je me demande quel goût le vin aurait si je le lapais sur toi... »

« Je pense qu'il aurait de multiple saveur. Un goût de paradis j'imagine. Ou peut être un goût d'enfer. »

Blanche fit glisser son doigt sur le pourpoint du duc. Elle avait les joues rosées, signe de son ébriété. Le vin commençait à lui faire tourner la tête, mais ce n'était pas l'endroit pour être soul.

« Quel dommage que tu n'aies pas accepté la proposition de sire Amaury, je me serais rêvée à son bras. Mais si tu as refusé c'est parce que tu as déjà des projets pour moi ? A quel infirme as tu l'intention de me marier ? Tant qu'il n'est pas eunuque cela me va. »

Quelques invités autour d'eux commençaient à regarder étrangement Eudes et sa soeur.

Je pose ma main sur la joue de Blanche et lui pousse un peu la tête en arrière, mon pouce sur ses lèvres.

« Aucun. Je te l’ai déjà dis, pour l’heure j’ai envie de profiter de toi... »

Je ne suis plus tout à fait un homme. Je m’approche du divin. Je suis au milieu d’un palais appartenant à la plus haute autorité religieuse des Franges. Et je suis en train de montrer toute ma vile dépravation devant ma propre chair. Un des crimes les plus odieux qui puissent exister.

« Il y a encore des gens que je dois remercier, malheureusement… Mais c’est avec grand plaisir que je te montrerai comment j’ai été oint du saint-chrême plus tard. »

Je la lâche en lui laissant ma coupe de vin. Allez hop, retour dans la fosse aux lions, soudainement revigoré par ces instants avec Blanche.

Il est temps d’aller parler aux prêtres. Jourdain, mon vieil ami. Justin, que je ne connais pas trop. Et surtout, deux évêques, qui sont eux très importants. Je louvoie entre les invités pour les atteindre eux. Pas de sourire hypocrite pour eux. Je les approches avec plus de pudeur et de déférence, les mains dans le dos, et avec un léger signe de tête.

« Messeigneurs. Tout se passe bien pour vous ?
Frère Jourdain, c’est un grand plaisir de vous revoir après toutes ces années. Je suis tellement rassuré que vous ayez pu vous échapper du Vaujour en un seul morceau…
Monseigneur Odilon, un plaisir de faire votre connaissance.
Monseigneur Domice, de vous revoir également. Tout va bien depuis la dernière fois ? »

C’est Domice et Odilon que j’ai envie de conquérir. J’aurai besoin de leur soutien le jour où l’archevêque mourra. Je pense que je peux les conquérir, eux, plus que d’autres candidats. Ils ont des profils légèrement différents, mais nos visions peuvent se mêler.
J’ai déjà promis aux Estoviens que je voulais un siège des Dremmens, Odilon Simon le souhaite aussi.
Domice, c’est plus compliqué ; Il est dans le camp de Thomas d’Estaing et des Trémanchottes. Il faut que j’arrive à le convaincre à rejoindre le cheptel, mais ça sera beaucoup, beaucoup moins aisé.

Les quatre clercs saluèrent le duc.

« Oui très bien sire Eudes, répondit Domice, ma sœur la Baronne vous salut et vous félicite pour votre sacre. Sa santé fragile l'empêche de faire le voyage, mais sachez qu'elle aurait aimé être parmi nous.
- Monseigneur, j'étais en train de raconter mon voyage à Raveaux. »

Jourdain était l'une des dernières figures paternelles pour Eudes. Il avait été l'un de ses précepteurs, et il était étrange de le voir s'adresser au jeune duc avec tant de déférence quand autrefois il pouvait le punir sévèrement pour sa turbulence. Aujourd'hui le rapport de force entre les deux hommes s'était inversé : Eudes n'était plus un pupille soumis à son professeur, mais le duc de Cahogne et Jourdain était son sujet.

« Je leur racontais dans quelle horrible situation j'ai retrouvé la ville. Elle s'est vidée de la moitié de sa population, les forces d'occupation sont en constant conflit avec les consuls et l'évêque a dû rançonner les biens d'Eglise usurpé par Malestoit.
Les officiers ont vraiment très mal géré la situation pendant votre absence et la maladie de votre père. Quelle mauvaise idée d'avoir confié la région à un capitaine mercenaire. »

Je fais un sourire à Domice.

« Oui, il est fort dommage que j’aie eu à m’échapper en toute hâte comme un voleur au lieu de passer du temps avec elle… Mais c’est justement lié à l’affaire que vous raconte frère Jourdain. Vous a-t-il également raconté que le capitaine Malestoit a mit aux fers l’un de mes vassaux également ? »

Je serre des dents et opine du chef à mon ancien tuteur.

« Cette pourriture… Cela a été plus qu’une erreur de la part du Conseil d’avoir engagé cet homme. Il humilie la Cahogne. Il m’est insupportable de voir ce qui était à une époque une noble et grande principauté être autant diminuée. Je commence à regretter de m’être absenté cinq longues années. Je ne peux pas m’empêcher de me dire que j’aurais pu faire quelque chose, en demeurant à Soulans.
Il était nécessaire d’aller sauver nos frères en Ponantique, mais ça a été au mépris de tant de personnes dans les Franges. »

Je fais un constat qu’ils doivent déjà beaucoup partager, de toute manière.

« À présent que je suis ici, il est de mon devoir de chevalier de réparer tous ces torts. Les gens de Raveaux seront dédommagés et Malestoit quittera la ville au plus vite. Je compte régler la situation dans le Valais avec force et fermeté. Il en va de ma réputation et de la réputation de la Cahogne toute entière. Nous ne pouvons pas rester le duché qui laisse des cottereaux ravager en son nom, et qui est mis en échec militairement par un bâtard usurpateur. »

Mais maintenant, revenons aux affaires.

« Mais pour ça, j’aurai besoin du soutien de l’Église.
J’ai appris que l’archevêque souhaitait nommer un légat pour négocier une trêve entre moi et Landebroc. Je n’aime pas ça. J’ai appris que Landebroc lui-même parlait en secret avec Malestoit, et qu’il avait acheté deux mille lansquenets gallancs qui arriveront ici dans les jours qui suivront, en plus d’avoir fait alliance avec la Haute-Julienne. J’ai peur qu’en cherchant la trêve, l’archevêque ne fasse qu’empirer la situation en transformant les simples tensions du Vaujour en une véritable guerre qui se propage comme une traînée de poudre à travers la région…
Avez-vous un avis là-dessus, messeigneurs ? »

Domice ne put réprimer un sourire narquois.

« Vraiment ? Je pensais que Malestoit était sous vos ordres ? »

Maintenant les hommes du duc s'emprisonnaient entre eux. Quelle situation ridicule, la Cahogne était vraiment tombée bien bas...
Jourdain reprit :

« J'ai confiance en vous monseigneur pour rétablir la paix dans le Vaujour.
Je ne pense pas qu'une intervention de l'archevêque empire les choses. C'est le gardien de la paix et il a cœur de maintenir la cohésion parmi les seigneurs des Franges. S'il parvient à renouveler la trêve pour trois ans vous n'aurez qu'à vous occuper de Malestoit pour reprendre le Vaujour et le comte Robert aura payé ses lansquenets pour rien.
Savez-vous qui l'archevêque va nommer pour être son légat ?
- La guerre que vous menez dans le Vaujour ne nous regarde pas mais la paix en Cahogne nous concerne tous, intervint Odilon Simon, l'évêque de Vaucouleur, je vous encourage à prendre toutes les dispositions pour régler le conflit au plus vite.
- J'ai ouï dire des exactions de vos mercenaires à l'encontre de l'Eglise de Raveaux et de son peuple, poursuivit Domice d'Aigues, c'est une bonne chose que vous ayez décidé de les dédommager. Votre capitaine doit être châtié pour son comportement, mais vous êtes son employeur et vous devriez prendre vos responsabilités et faire pénitence devant l'évêque de Raveaux pour cela. »

« Mes responsabilités, monseigneur ? Pour quelles fautes ? »

Je regarde Domice avec un petit hochement de tête. J’ai besoin de son vote, c’est bien pour ça que je ne peux pas juste l’insulter.

« Je ne suis pas celui qui a confié Raveaux à Malestoit. Pendant que les événements du Vaujour se déroulaient, j’étais occupé à l’autre bout du monde, à survivre face aux mamelouks du Sultan. Je suis l’homme qui est parvenu à reprendre l’Eurypont aux infidèles, je ne serai pas accusé dans les Franges d’être également celui qui rançonne l’Église.
Mais il y aura nombre de personnes qui perdront leurs têtes pour ce qu’ils ont fait, ceci je peux aisément le jurer sur mon épée ; La Géhenne pour ceux qui ont commit des torts envers les innocents et les désarmés.
C’est bien pour cela que Malestoit s’est empressé de prendre l’un de mes propres barons en otage. Il me craint. Et que Dieu m’en soit témoin, il en a toutes les raisons. »

Je tisse un drap de mensonges et de conneries. La raison pour laquelle Saint-Saëns est dans les geôles d’un mercenaire, c’est parce qu’il est un crétin fou furieux. Mais bien sûr, parler de l’incompétence de l’un de mes agents personnels c’est pas très vendeur, déjà que le prestige de la Cahogne est bien atteinte on va plutôt tourner les choses en ma faveur.

« J’ignore encore qui Sa Sainteté va nommer comme légat. Et j’ignore qui lui suggérer, quelqu’un qui pourrait être neutre tant envers moi qu’envers Landebroc, quelqu’un de respectable, charismatique, qui ne soit pas influencé… Vous me pardonnerez, je ne suis pas au fait des affaires de l’Église et j’ai été absent pendant longtemps. Peut-être que vous avez contrairement à moi une suggestion ? »

Avec un sourire en coin Domice s'empressa de répondre au duc :

« Excusez moi monseigneur, mais ce qui ce passe dans le Vaujour est de la responsabilité de la couronne de Cahogne. Vous portez actuellement cette couronne, c'est donc vous et vous seul le responsable, pas en tant qu'homme, mais en tant que duc.
C'est pour cela qu'on vous sacre, on répète les gestes qui ont fait le précédent règne pour assurer sa continuité, alors si vous ne voulez pas assumer les actes de votre prédécesseur rendez donc votre couronne. »

Sans faire attention aux piques de l'évêque d'Aigues, Frère Jourdain poursuivit :

« Monseigneur Odilon pourrait peut être assurer la légation ?
- Moi ? Je ne suis pas sûr d'être le meilleur des candidats. De toute façon, c'est à l'archevêque de choisir et je pense que son choix sera judicieux, comme toujours. »

Il semblerait bien que ce n’est pas aujourd’hui que je vais convaincre monseigneur Domice de quoi que ce soit. Et avec l’affaire de Clotilde qui n’est pas conclue, je me demande comment nous allons régler la seigneurie d’Aigues. Tout cela m’ennuie. Il y a tellement de choses à gérer.
Je vais laisser une traînée de sang dans le Valais. Ensuite il sera plus simple de réfléchir. J’ai hâte.

« De toute façon ce n’est pas à moi de m’exprimer sur les choix de Sa Sainteté. Nous verrons bien qui il nomme comme légat. Mais je ne compte pas trop sur la bonne volonté de l’usurpateur Landebroc pour négocier avec la Cahogne.
Nous verrons bien comment cette affaire se termine. »

Si la Basse-Julienne et le Landéron peuvent me soutenir, j’aurai de toute façon de l’aide. J’espère juste que ce sale archevêque ne va pas se mêler de ces histoires. Je n’aurais jamais dû rentrer. Les choses étaient beaucoup plus simples en Ponantique. On pouvait mettre en prison ses ennemis et massacrer les païens sans se faire taper sur les doigts.
On a vaincu des forces ennemies supérieures en nombre, je ne vais quand même pas échouer dans les Franges.

« Pardonnez-moi monseigneur Odilon, j’ai une requête un peu étrange à vous adresser ; Auriez-vous un ouvrage avec lequel je pourrais m’entraîner à parler la langue des Dremmens à me recommander ?
Vous avez accompli de nombreuses missions auprès de nos voisins, et je pense que la moindre des choses, quant à la Transgarde dans laquelle des Cahons se sont installés, c’est que j’apprenne la langue de ses habitants.
J’ai pu parler avec la délégation Estovienne, ce sont des gens très charmants. »

Et pour le coup je ne suis même pas hypocrite. Je me demande même, puisque le mariage avec Jeanne la Boiteuse n’est plus d’actualité, s’il ne serait pas mieux que j’épouse la sœur de Dragomir moi-même, plutôt que de la confier à Hubert.

Les prélats acquiescèrent de la tête, l'archevêque était libre de nommer qui il voulait.
Odilon Simon se montra étonnait de la requête du duc.

« Vraiment monsieur ? Vous êtes bien l'un des rares princes de l'Empire à s'intéresser à la culture Dremmen au point de vouloir en apprendre la langue.
Je n'ai malheureusement pas d'ouvrage à vous conseiller, la langue Dremmen est principalement une langue orale il en existe peu d'écrit. Il serait d'ailleurs très compliqué de l'apprendre dans un livre.
Mais je peux vous envoyer un professeur qui serait capable de vous apprendre les bases de la langue. Il en existe plusieurs dialectes, mais ils se ressemblent tous un peu. L'Urcanien est la langue la plus parler dans le royaume d'Estovie, mais le Carpasien est la langue parlée en Transgarde. »

Domice leva les yeux au ciel. Quelle perte de temps que de vouloir apprendre la langue des barbares. Peut être décelait-il une manœuvre politique pour s'attirer les faveurs de l'évêque de Vaucouleur qu'on savait tous proche des Dremmens.

« Monsieur le voïvode Valadìm et monseigneur Istovan peuvent paraître rustre d'apparence, mais les estoviens sont des gens aimables et raffinés. Je suis heureux que vous l'ayez remarqué.
Pour vous dire vrai monsieur le duc, j'étais inquiet de votre retour pour l'avenir des relations entre la Cahogne et l'Estovie. Je suis étonné de voir un prince croisé ayant combattu les païens en outremer s'entendre aussi bien avec un peuple que beaucoup considèrent encore comme païen même après la conversion de leur roi.
Je sais que Dragomir réclame la suzeraineté sur les terres que vous possédez au delà de la Garde. Avez vous trouver une entente avec ses envoyés ? »