On quitta le château de Richefort au matin. En tout 8h de cheval pour rejoindre Soulans, sans compter les arrêts. Fernand portait un simple vêtement de voyage, Aymeric suivant derrière avec l'armure de son maître. On avait rappelé maître Percival pour qu'il la rafistole un peu suite au combat des Trentes. L'accompagnaient en plus de son jeune page, son parrain Hugon de Lanta et plusieurs des soldats de la maison de Montfay. Soeur Sarah était restée au château pour s'occuper des domaines, Crépin d'Albert-Bosc reparti sur ses terres avec la conviction de la bonne naissance de Fernand.
On descendit l'Otton jusqu'à sa réunion avec l'Aigues au niveau du bourg d'Aubercy, puis on continua jusqu'à rejoindre la Bréa. De là, il suffisait de suivre l'eau jusqu'à la grande capitale du duché : Soulans. Mais Fernand n'eut pas le temps de s'émerveiller devant les grandes tours qui se détachaient de l'horizon, on l'informa qu'il possédait un château situé à une dizaine de kilomètres de la capitale, et que c'est là qu'ils allaient passer la nuit.
Le château de Maupez était bien différent de celui de Richefort, beaucoup moins confortable et avec un personnel bien plus restreint. Là où Richefort était une résidence seigneuriale, Maupez était avant tout une forteresse défensive.
Le lendemain, on reprit la route, dépassant Soulans pour traverser la Bréa et passer devant le château de Montfay, celui là même qui donnait son nom à la famille de Fernand et qui lui appartenait aussi. Mais on ne s'y arrêta pas pour continuer jusqu'à Villebonne, puis Gondreville, avant d'arriver devant les portes de Belfort.
C'était la première fois que Fernand quittait les Landes pour le Pays-Plat. Le paysage y était bien différent. Les vallées et les forêts s'étaient effacées pour laisser place à une vaste plaine recouverte de champs. Contrairement à son pays natal laissé en parti à la nature, ici la trace de l'Homme était omniprésente. Les routes y étaient aussi bien meilleures, il était beaucoup plus agréable de les emprunter. Mais ce qui frappa le plus le jeune Baron, c'était la différence de température. Le Pays-Plat était sujet aux vents glaciales venant des pays Norges, le climat y était beaucoup plus doux que dans le Sud de la Cahogne.
Dans une prairie, Fernand aperçut un curieux animal. On aurait dit un bœuf, mais beaucoup plus massif, avec des cornes volumineuses et des pattes arrières plus courtes que celles de devant.
- Un auroch du Pays-Plat, lui dit Hugon de Lanta en remarquant son air intrigué.
Fernand n'en n'avait jamais vu mais savait que les platois raffolaient des jeux taurins. Quel animal étrange.

Le voyage dura toute la journée. Bien qu'ils étaient partis tôt le matin, ils n'arrivèrent qu'en fin d'après-midi. Belfort était une ville ducale, capitale du comté du même nom, mais surtout une ville épiscopale. Avec le duc résidant à Soulans, l'évêque avait une grande influence sur la cité. Pour chance, l'évêque en question était Guy de Montfay, l'oncle de Fernand.
Ils entrèrent par la porte de Vendaume, puis remontèrent la longue voie marchande bordée de boutiques en tout genre pour rejoindre la cathédrale Saint-Hugobert.
Fernand avait déjà entendu parler de Belfort. Il y a quelques années, il avait économisé trois mois sur son petit salaire de forgeron pour offrir à sa mère de la vaisselle de verre portant le sceau de la ville. Le verre de Belfort était réputé pour être le meilleur du pays. Cela paraissait si futile aujourd'hui car avec les ressources de son domaine il pouvait désormais acheter de la vaisselle de verre pour toutes les mères de Cahogne s'il le voulait.
Passant devant l'église majestueuse de l'évêque, ils se dirigèrent vers le palais des comtes de Belfort où logeait Tallandier. C'était là un tout autre édifice que la forteresse de Richefort. Celle-ci paru tout d'un coup toute petite et frêle face à la puissante citadelle de Belfort. Tout y était monumental, à commencer par la barbacane qui permettait de monter sur l'éperon rocheux où repossait la forteresse surplombant la ville, puis la grande porte encastrée entre deux puissantes tours carrées, et enfin, l'imposant donjon qui cachait une partie du soleil.

Tallandier, qu'un messager envoyé à l'avant par Hugon de Lanta avait alerté de l'arrivée de son neveu, attendait dans la cour du château, entouré d'un bon nombre des chanoines de son chapitre, de quelques notables de la cité et de membres de la noblesse urbaine locale.
Il accueillit Fernand avec un grand sourire, ce sourire qui lui faisait toujours comme une horrible grimace.
- Mon cher neveu ! Bienvenu à Belfort. As tu fait bon voyage ? Sire Hugon, salua t-il le Dogue Rouge en lui présentant sa main lestée de bagues que le seigneur de Lanta s'empressa d'embrasser.

- Il va falloir t'habituer mon neveu, car la vie d'un seigneur se passe en partie sur les routes au dos de son cheval.
Tallandier s'amusait des remarques de son neveu qui découvrait tout juste sa nouvelle vie comme un prisonnier à qui on venait de rendre la liberté.
- N'es tu jamais allé à Soulans ? Le palais des ducs est encore plus grand que celui-ci. Crois moi, tu en verras des merveilles.
L'évêque invita Fernand et sa suite à entrer dans le palais. L'intérieur était tout aussi majestueux que l'extérieur.
Le palais, appartenant autrefois aux comtes de Belfort, avait été réaménagé pour les besoin de l'évêque. La grande salle d’apparat servait aux réunions du chapitre et aux séances du synode diocésain. L'une des ailes accueillait les chanoines, une autre avait été reconvertie en monastère, alors que le grand jardin principal était devenu un cloître.
- Je t'ai fait préparer une chambre. Ce n'est pas la plus luxueuse du palais, mais elle est mieux que celle de Richefort. A vous aussi monsieur de Lanta. Dit-il en se tournant vers le Dogue Rouge qui suivait derrière.
On servit un repas. Fernand pu remarquer la détresse d'Hugon de Lanta : pour faire plaisir à son neveu qui aimait la modestie des repas, l'évêque n'avait servit que le minimum sur sa table, au grand dam du Dogue Rouge qui aimait se nourrir en abondance, surtout après un si long voyage.


Ce n'est que le lendemain que les choses commencèrent. Comme à son habitude Fernand était levé tôt, surtout qu'il avait mal dormi, peu habitué aux bruits d'une grande ville qui ne s'endormait pas la nuit tombée. Il était déjà tout habillé et préparé lorsqu'un valet frappa à sa porte : son oncle l'évêque le convoquait dans son bureau.
L'ancien bureau des comtes était vaste, une grande table au centre recouverte de papiers, des tas de lettres concernant le diocèse que Tallandier avait à gérer. La pénombre du matin était rehaussée par quelques chandeliers, et la température réchauffée par l’âtre brûlant d'une cheminée.
L'évêque était assis, affairer à lire du courrier. Dans son dos, un grand portrait du duc Lothaire le Jeune, premier duc de la maison de Bohain et le dernier des comtes de Belfort.
- Entre Fernand, dit-il en voyant son neveu approcher.
Il lui fit signe de s'asseoir, puis resta silencieux jusqu'à terminer de lire sa lettre.
- Fernand, il va falloir commencer à travailler pour te faire reconnaître l'héritier de ton père. Isarn a déjà avancé quelques pions, à commencer à ce Crépin d'Albert-Bosc qu'elle t'a envoyé. Le seigneur de Lanta m'a raconté votre mésaventure. C'était une folie que de lui répondre par un combat, ce n'est pas avec cent hommes qu'il allait assiéger Richefort, il se serait vite lassé. Tu as risqué ta vie et tu as eu de la chance de t'en sortir vivant. S'il avait plu à Dieu, tu serais mort.
Crois moi, contrairement à ce que peut te dire sire Hugon, ce n'est pas avec la pointe de ton épée que tu réussiras à te faire reconnaître, mais par la pointe de ta plume.
Nous allons devoir nous adresser aux barons de Cahogne et à tout ceux qui ont de l'influence au Concile. C'est lui qui tranchera. Si la légalité du mariage de tes parents est reconnue par l'Eglise, tu seras de facto l'enfant légitime d'Henri de Montfay et rien ne pourra s'opposer à ton héritage, ni Isarn ni le duc.
Il va falloir commencer par tâter le terrain, connaître la position des barons. Pour cela, la chancellerie de Belfort va nous aider en transmettant les lettres à travers le pays.

Tallandier lit l'ébauche, butant avec difficulté sur certains mots tant elle était mal écrite. Pour excuser Fernand, le forgeron savait à peine écrire, sa lettre était pleine de fautes, mal formulée et assez naïve.
L'évêque resta pensif un instant. Assurément qu'il allait falloir la retravailler sur la forme, mais c'est le fond qui était à questionner.
- Es tu bien sûr qu'il soit judicieux de brusquer la justice du duc ? Il ne s'agit pas là de l'innocence de ton père, cela on en discutera plus tard, mais bien de la reconnaissance de son mariage avec ta mère, et par conséquent ta légitimité.
Peut être que tu devrais jouer sur le danger que représenterait l'honneur des Montfay entre les mains de cette vipère d'Isarn, le fait d'avoir une femme à la tête de la maison, et à travers elle son époux, le parvenu de Valentine qui n'a construit sa fortune que sur la naïve générosité du duc. Pierre de l'Estienne est détesté par la noblesse du pays, peut être plus qu'un bâtard élevé en forgeron. Insiste la dessus.
Je vois en tout cas que tu as bien progressé dans ton apprentissage de l'écrit.

Tallandier lit la nouvelle version de la lettre. Il semblait convaincu.
- Voilà qui est mieux. Transmettons cette missive à la chancellerie, les scribes vont la recopier en autant d'exemplaires qu'il faudra et dès ce soir elles seront envoyées aux quatre coins de la Cahogne.
L'évêque et son neveu avaient passé une partie de la matinée à rédiger ce courrier. Alors que l'heure du midi approchait, un valet toqua à la porte du bureau.
- Monseigneur de Belfort, la baronne est arrivée avec son fils.
- Ah ! Très bien. Fernand j'ai quelqu'un à te présenter.
Tallandier se leva, prit un chiffon pour nettoyer ses mains pleines d'encre, puis invita Fernand à le suivre. Le dédale de couloirs du château des comtes de Belfort était labyrinthique, sans son oncle pour guide, Fernand aurait pu s'y perdre.
Ils aboutirent à la grande salle d'apparat, bien plus grande et plus richement décorée que celle de Richefort. Y attendaient une jeune femme et un petit garçon qui patientaient en observant l'une des grandes peintures de la pièce : un portrait équestre d'un ancêtre des comtes de Belfort représenté dans une armure de l'Ancien Empire, portant une couronne de laurier et une cape de pourpre, un costume incongrue et anachronique.
- Ma chère sœur ! S'écria l'évêque en embrassant la jeune femme. Et toi mon petit, dit-il à l'enfant, tu as encore grandit, tu ressembles de plus en plus à ton père.
L'enfant, timide, se cacha dans les jupons de sa mère. Celle-ci était grande, droite et pleine de dignité. Jamais Fernand n'aurait cru voir une femme plus belle encore que sœur Sarah. Si la moniale était un ange, cette femme là était une déesse.
- Fernand, je te présente ta tante, Hélène de Montfay.
La jeune femme s'inclina respectueusement.
- C'est un honneur de te rencontrer Fernand. Guy m'a beaucoup parlé de toi, répondit-elle d'une voie douce mais pleine de mélancolie.
- Et voici le petit Jean, ton cousin, présenta Tallandier alors que l'enfant se rendait invisible derrière sa mère.

Hélène répondit à la plaisanterie de Fernand par un sourire respectueux.
- Oh ce n'est pas tes cicatrices qui l'effraient, expliqua Tallandier sur un ton dépité, ce gamin a peur de tout le monde...
Le repas avait été servit non pas dans la grande salle mais dans une pièce plus petite non loin du bureau. Hugon de Lanta et les quelques bannerets de la maison de Montfay qui accompagnaient Fernand mangeaient ailleurs en compagnie des chanoines, Tallandier avait voulu réservé ce repas pour sa famille proche, ses deux neveux et sa soeur.
Ils mangèrent dans un grand silence. L'ambiance pouvait être légèrement embarrassante pour celui qui ne connaissait pas Hélène de Montfay, la jeune femme, timide comme son fils, ne parlait pas beaucoup.
- Comment ça se passe à Haguefort ? demanda l'évêque à sa sœur en brisant le silence.
- Bien merci, répondit-elle simplement.
- Un monsieur est venu pour prendre la place de papa, dit soudainement le jeune Jean. C'était la première fois qu'il parlait depuis leur arrivée à Belfort.
- Encore ? Un nouveau prétendant ? S'exclama l'évêque.
- Oui, lui répondit timidement sa sœur.
- Alors ? As tu donné suite ?
- Non.
- Hélène, il serait peut être temps de reprendre un mari. Tu ne pourras gérer la régence des Guizet sans un homme à tes côtés. Et qui va élever ton fils pour en faire un chevalier ? N'ai je pas raison Fernand ?
Alors que le jeune baron répondait à son oncle, un valet entra pour interpeller Tallandier.
- Excusez-moi, dit-il, mais je dois m'absenter un instant.
L'évêque laissa Fernand avec sa tante et son cousin. Il ne fallait pas compter sur Hélène pour faire la conversation, elle était d'un ennui mortel. L'ambiance était un peu gênante, chacun se contentant de regarder son assiette sans dire un mot. Celle de Jean était encore pleine, le garçon avait dû manger trois bouchés, il n'avait visiblement pas beaucoup d'appétit.

- Merci Fernand. Répondit-elle dans un charmant sourire avant de replonger dans son mutisme.
Elle semblait avoir une grande indifférence pour Fernand, ou bien était elle préoccupée par autre chose.
L'évêque tardant à revenir, la situation était un peu embarrassante, personne ne parlant, le silence seulement dérangé par le bruit des couverts.
- Fernand. La baronne s'était enfin décidée à parler. Mon frère t'a t-il dit comment était mort mon mari ?
Tallandier lui en avait brièvement parlé oui. Jean IV de Guizet avait été assassiné l'année d'avant par des pirates aux ordres de Tanguy de la Tour d'Arcy alors que le duché était plongé dans la guerre civile.
- Il a été lâchement assassiné, lâcha t-elle avec une légère pointe de haine dans la voix qui ne lui ressemblait pas. Fernand, j'ai besoin de ton soutien pour le venger. Guy refuse de m'écouter. Il prétend que justice a été rendue, que le coupable est en prison et que je devrais faire mon deuil en oubliant tout cette histoire. Mais je ne peux pas. Il n'y a que le commanditaire qui est emprisonné, les assassins de mon mari courent toujours. Aide moi à les retrouver et à les punir. Je t'en prie.
Le capitaine pirate qu'on surnommé le Boucané, mercenaire aux ordres du baron Tanguy, celui là même qui avait tranché la gorge de Jean IV, n'avait jamais été retrouvé, bien à l'abri dans sa forteresse sur l'île de Rascaille au large du continent.

- Peu importe Fernand, tant que tu as le soutien de mon frère, tu as du pouvoir, de l'influence. Utilise le pour venger mon époux. Promet moi de tout mettre en œuvre pour détruire ses assassins. Ils doivent payer.
Tallandier revint et Hélène retomba dans son mutisme.
- Excusez moi, de petites affaires à régler, dit-il en se rasseyant.
A nouveau le silence et le bruit des couverts, jusqu'à ce que l'évêque ne reparle :
- Et comment va ce cher Claude ? Demanda t-il à sa soeur à propos de Claude de Guizet, un moine, beau-frère d'Hélène.
- Il est actuellement en voyage pour porter notre écuage au duc.
- Ah. Quelle sombre histoire ça aussi. Mais c'est hélas le rôle d'un seigneur que de servir dans l'ost de son suzerain, dit-il pour Fernand. Qu'en penses tu Fernand ? Le comte Etienne de Valais a hypothéqué la région du Vaujour au duc, mais son héritier a refusé de rembourser son emprunt prétextant que cela ne regardait que son père, et le duc a envahi le territoire en le réclamant. Qui est dans son bon droit selon toi ?
Fernand n'était pas sans savoir que le duché de Cahogne était en guerre contre son voisin, le comté de Valais. Etienne était mort sans avoir remboursé son prêt, son successeur, Robert le Bâtard, refusant de respecter le contrat, refusa de laisser le Vaujour en gage au duc de Cahogne, à l'époque Hugues III. Le fils de ce dernier, Eudes, revenu de croisade, avait alors poursuivit la guerre.
- Robert Landebroc, l'actuel comte de Valais, partage d'ailleurs quelques similitudes avec toi, lui aussi est né d'une union controversée. Certains disent que c'est sa demi-sœur qui aurait du récupérer l'héritage, mais d'après les rumeurs la pauvrette serait morte dans d'étranges conditions, quelques jours après sa mère.

- Il faudra bien que tu t'intéresses à la politique du duché Fernand, la maison de Montfay est puissante et influente, sa voix compte et beaucoup l'écoutent. Ce sera à toi d'orienter nos avis. Et la question de ton héritage pourrait bien prendre des années avant d'être réglée définitivement.
Après le repas, Tallandier invita Fernand à la cathédrale de Belfort pour y suivre la messe qu'il officiait lui même. La cérémonie n'avait rien à voir avec celle auquel il avait assisté dans la petite église de Raons-les-Bois. Ici tout était décuplé.
La cathédrale était chargée de croyants, beaucoup ne pouvant trouver une place où s'asseoir. Fernand, neveu de l'évêque, avait la chance d'avoir une place réservée dans le carré de la noblesse, bien à l'écart des vilains relégués à l'arrière de l'église.
Sur l'estrade de l'autel, se trouvait un grand nombre de chanoines qui assistaient Tallandier dans son office. Celui-ci était tout revêtu de l'habit de son sacerdoce, avec sa livrée violette filetée de cramoisi, portant sur sa tête une grande mitre dorée, et au milieu de sa poitrine une large croix d'argent contenant en son centre un os,  la relique sacrée d'un saint.
Avec les vitraux propageant un magnifique jeu de lumière à cette heure de la journée, le spectacle était splendide, de quoi raviver la foi dans chacun des cœurs qui y assistait.
On déclama des psaumes, les chanoines reprenant en choeur quelques cantos, appelant sur les croyants la protection divine, remerciant Dieu pour le don du Feu Sacré, sollicitant l'intercession des saints pour les âmes de ceux qui avaient récemment disparu. Fernand ne pu s'empêcher d’être surprit par quelques éléments du rites. Jusque là, il n'avait assisté dans sa vie qu'à des messes du sud, mais ici dans le Pays-Plat, quelques menus détails différés.
A la fin de la cérémonie, après avoir procédé aux offrandes et écouté les actualités locales que profitait de transmettre l'évêque à la population, Fernand fut abordé par une moniale. Elle avait dans les quarante ans, portant l'habit des sœurs Sabines, le même que celui de sœur Sarah.
- Monseigneur, vous êtes sire Fernand de Montfay n'est ce pas ? J'ai besoin de faire appel à votre bon cœur. Voilà, je me présente, Godelièvre de Mesranges, je suis la mère de Aymeric, le petit garçon qui vous sert de page. Depuis 10 ans je suis confinée dans mon monastère, ne pouvant voir mon fils qu'une fois l'an. Je me languis beaucoup de lui, il me manque terriblement. Vous ne pouvez pas savoir la douleur que c'est pour une mère que de ne pas pouvoir voir grandir son enfant. Monseigneur, pourriez vous m'autoriser à revenir vivre auprès de lui. Je vous jure de vous servir avec fidélité, je ne vous causerais aucun ennui, que Dieu m'entende, je prierais tous les jours pour votre âme.
Montrant sa grande dévotion, elle s'empressa de prendre la main de Fernand pour l'embrasser à plusieurs reprises. Ses yeux étaient plein de larmes en attendant la réponse du jeune baron.

La cathédrale se vidait peu à peu de ses fidèles, les chanoines sur l'autel affairés à ranger la magnifique vaisselle liturgique qui avait servit à l'office.
Madame de Mesranges lâcha la main de Fernand et sécha ses larmes.
- Monseigneur, à la mort de mon époux on m'a obligé à prononcer mes vœux en me séparant de mon fils. Un méchant stratagème de votre père pour que je ne puisse me remarier. Mais cela suffit, je suis vieille à présent, je ne peux plus avoir d'autre enfant. J'aimerai seulement pouvoir élever le seul que j'ai.
[échec du jet de mental]
Il était impossible pour Fernand de savoir si cette femme disait toute la vérité ou bien si elle cachait quelque chose dans cette histoire. Tout ce qu'il voyait, c'était cette moniale dans une grande détresse, pleurant le fils qu'elle ne pouvait plus voir grandir.

De retour de la messe. Fernand allât questionner Hugon de Lanta sur l'histoire de cette femme. Le Dogue Rouge, plus intéressé par la guerre que les intrigues de cour, n'en savait pas plus, autrement que quelques rumeurs qu'il avait pu entendre. Il avait été un bon ami de son époux et avait beaucoup pleuré sa mort. Tout juste avait-il cru comprendre que sa veuve avait été cloîtrée pour des suspicions d'adultère.  
Au dîner du soir, que Tallandier avait lui aussi voulu dans l'intimité familiale, l'évêque interrogea Fernand.
- Fernand. Je t'ai vu discuter avec madame de Mesranges après la messe. Que t'a t-elle dit ?
Fernand ne lui raconta rien de plus que ce qui s'était dit.
L'évêque resta pensif un instant, s'arrêtant de manger pour se replier dans son siège, une main sur le menton.
- C'est bien, tu n'as pas fait d'imprudence. Il faut que cette femme reste dans son couvent.
Il hésita longuement avant de reprendre :
- Fernand, je vais te mettre dans la confidence. Excuse moi de ne pas l'avoir fait plus tôt.
Le petit Aymeric. C'est ton frère. Il n'est pas le fils de ce banneret mort en croisade, mais un énième bâtard d'Henri. Si cela se savait, il pourrait représenter un grand danger pour toi en devenant une arme politique pour tes adversaires. Actuellement, tu es l'unique option contre Isarn, donc les ennemis de la vipère se rangent derrière toi. Mais si il y avait une autre option possible, un jeune garçon potentiellement aussi légitime que toi, à la moindre contrariété tes vassaux pourraient te préférer Aymeric, plus jeune et plus malléable. Garde ce secret et n'en parle pas autour de toi.
L'évêque se remit à manger. Hélène restait silencieuse, les yeux sur son assiette, son fils à ses côtés qui ne mangeait toujours pas.

- C'est bien pour cela que nous l'avons mit dans un endroit où personne ne pourra l'entendre. J'ignore comment elle a réussit à sortir de son couvent pour t'approcher. Je dirais aux sœurs de faire plus attention.
Le repas continua, les valets apportant encore un nouveau plat alors que Hélène et son fils avaient à peine toucher à leurs assiettes.
- Avez-vous profité de mon absence pour faire plus ample connaissance ? Tu sais Hélène, Fernand a grandit comme forgeron. Je suis sûr qu'il saurait te fabriquer de beaux bijoux.
- C'est vrai ? Ce serait un honneur pour moi que de les porter.
- Et Fernand, pourquoi tu n’emmènerais pas ton jeune cousin avec toi à l'un de tes entraînements avec le sire de Lanta.
- Ce n'est pas risqué ? Protesta Hélène.
- C'est l'épreuve la moins risquée que ton fils aura a affronter. Ce serait une bonne occasion de passer du temps en famille.


Fernand resta plusieurs jours à Belfort. Il continuait à suivre les leçons d'Hugon de Lanta. Depuis le combat des trente, il avait bien amélioré son art de l'épée.
- Rien de telle qu'une vraie bataille pour apprendre. On apprend mieux à nager au milieu de la mer que sur les rives d'un lac, avait dit le Dogue Rouge.
Puis avec son oncle, ils avaient lu les quelques réponses à son courrier qui étaient parvenues à la chancellerie.
Mauger Tancarvelles soutenait Fernand dans sa démarche par solidarité entre bâtards, un allié de poids ayant ses entrées à la cour de Cahogne, ancien connétable du duc Hugues III qui avait engagé Henri de Montfay au poste de maréchal.
Cécil de Saint-Saëns quand à lui attendait de voir la position du duc pour se prononcer, alors que Guillaume des Murets refusait.
- Les Murets ont des dettes envers nous, avait commenté Tallandier. Je te rappelle que le baron nous a hypothéqué un château pour financer son départ en croisade, je suis sûr que la vipère l'a contacté pour lui promettre d'oublier sa dette contre son soutien.
Plus intrigante avait été la réponse de Louis de Cinqfoy, un autre baron important du pays, mais très peu considéré par le pouvoir ducal, et pour cause, Louis avait été le principal meneur rebelle pendant la guerre civile, soutien indéfectible du comte de Porez Raoul.
S'il était persona non grata à la cour ducale, il avait ses entrées à celle du comte de Trémanche, le puissant rival du duc.
- Nous ne sommes pas certain du soutien du duc, il faudrait peut être considéré son offre. Ils nous demande de le rencontrer, je propose de l'inviter à Belfort pour discuter.
Les propositions de l'évêque n'en étaient pas, sans même attendre le consentement de Fernand, il convoqua un scribe de la chancellerie pour envoyer une missive à Louis de Cinqfoy.
Deux jour plus tard, Louis arrivait à Belfort.



Apprenant l'arrivée du baron de Cinqfoy, Hélène s'était approchée de son neveu.
- Fernand, te souviens tu de ma demande ? Il se trouve que monseigneur Louis est le beau-frère de l'assassin de mon époux. Sa sœur était mariée à Tanguy de la Tour d'Arcy et saurait où se trouve le capitaine pirate. Pourrais tu profiter de ton entrevue avec le baron pour essayer de localiser le pirate ? Avait-elle demandé.
Aléanor de Cinqfoy, l'épouse du commanditaire de l'assassina de Jean IV et soeur de Louis, était acoquinée avec le Boucané. Une piste pour atteindre le mercenaire pirate.
Hugon quand à lui, avait prévenu Fernand de se méfier de Cinqfoy.
- Un baron qui a trahit son suzerain n'est jamais un homme de confiance.
On fit un grand accueil au baron. Tallandier voulait l'impressionner.
Louis de Cinqfoy était un grand homme bien bâti, portant une épaisse tignasse brune et une grosse barbe noire. Contrairement à d'autres seigneurs de son rang, son costume était très modeste, ne se distinguant des soldats qui l'accompagnaient que par le tortil d'argent qui lui ceignait le front. Il n'avait aucun bijoux, ni aucune autre marque de fortune.
Il entra dans Belfort sur un beau palefroi bien peigné, et comme Fernand quelques jours plus tôt, remonta la grande voie marchande pour atteindre le palais où l'attendaient l'évêque et son neveu.
- Bienvenu à Belfort monseigneur Louis, lui dit Tallandier alors que le baron descendait de son cheval. Il s'approcha de l'évêque et lui baisa sa main alourdie de grosses bagues.
- Votre éminence. Merci pour votre accueil.
Puis se tournant vers Fernand :
- Vous devez être sire Fernand. Je vous aurais reconnu, vous ressemblez tellement à votre père.
Il salua aussi Hélène et le jeune baron Jean V de Guizet, ainsi que le sire de Lanta qui se tenait à leur côté.
Cette fois on avait dressé les tables dans la grande salle du palais de Belfort et sorti la vaisselle la plus précieuse. C'était là un grand baron de Cahogne que l'on recevait, il fallait le traiter avec la dignité de son rang. On avait convié les jongleurs et musiciens les plus doués de la région, et demandé aux cuisiniers de préparer les plats les meilleurs. Tallandier n'avait pas lésiné sur le faste.
L'évêque, en tant qu'hôte, était assis au centre. A sa gauche Hélène et son fils, à sa droite le baron Louis, son neveu Fernand et le chevalier Hugon de Lanta.
Au cour du repas, alors qu'on découpait devant eux un sanglier énorme, Cinqfoy se pencha discrètement vers Fernand.
- Sire, j'aurais aimé discuter avec vous, je veux dire, de préférence sans la présence de votre oncle monseigneur l'évêque. Cela serait-il possible ?

Cinqfoy ne suivit pas Fernand, cela aurait été trop suspect et on aurait pu croire à un complot.
Le lendemain, il convia le jeune baron à une activité que les prélats pratiquaient peu : la chasse, le loisir par excellence de la noblesse et où Fernand n'était pas mauvais, une occasion pour lui de montrer ce qu'il valait.
Ils s'aventurèrent dans la forêt ducale de Loire, non loin de Belfort. Fernand était accompagné de sa suite, son parrain Hugon de Lanta, son page (et désormais frère) Aymeric, et de son jeune cousin Jean de Guizet. Ces deux deniers, cousins sans le savoir, avait plutôt l'air de s'entendre.
Quant à Louis, il était escorté de ses chevaliers portant sur leurs tabars la vouivre bleue de la maison de Cinqfoy, celle là qu'avait terrassé l'ancêtre de la famille, sainte Foy de Brévenne. Tallandier leur avait aussi prêté quelques uns des siens pour leur servir de guides dans l'épaisse forêt, mais lui même n'était pas venu.
Loire était un reliquat de la forêt primaire qui recouvrait autrefois l'ensemble du pays, sauvegardée des défrichements par les lois ducales. Pendant plusieurs siècles, elle avait été la forêt privilégiée des comtes de Belfort pour la pratique de la chasse. On y trouvait du gros gibiers, de grands cerfs, des sangliers, mais aussi parfois des ours, la terrible malebête dont il fallait faire très attention.
Les arbres étaient grands et larges, la canopée dense, ne laissant filtrer que peu la lumière, plongeant les bois dans une pénombre vaporeuse.
On cheminait tranquillement à dos de cheval, suivant les chiens qui flairaient les pistes, les bergers cahons personnels du baron Louis qu'il emportait partout avec lui. Cinqfoy était au côté de Fernand, Hugon de Lanta ne le quittant pas, peut être inquiet de cette partie de chasse en compagnie de l'ancien félon qu'il redoutait. Cinqfoy avait l'air un peu gêné de la présence rapprochée du Dogue Rouge.
Alors qu'on avait marché depuis une heure sans trouver de gibier, on s'arrêta dans une clairière près d'une source d'eau afin de faire boire les chevaux et les chiens. A côté de la source, un rocher était gravé de symboles étranges, une pierre runique datant de l'époque viking.
Profitant qu'Hugon de Lanta s'éloignait pour faire boire sa monture, Cinqfoy approcha de Fernand.
- Je m'interroge sur vous sire Fernand. Vous n'avez pas l'apparence d'un grand baron. Ce n'est pas la une injure que je vous fais, bien au contraire. J'admire la modestie des vilains. Beaucoup trop des nôtres se vautrent dans le luxe. Je vous ai vu au repas, vous mangez peu, vous vous habillez sans fioriture, vous vous contentez d'un rien, là où votre oncle se prélasse dans le faste, s'habille d'or et d'argent, charge ses doigts de grosses bagues et leste son cou de colliers. Que pensez-vous de lui et de l'église qu'il représente ?

- Un pirate vous dite ? Cinqfoy fouilla dans sa mémoire un instant, sans comprendre où Fernand voulait en venir. Oh oui, vous faite certainement référence à cette horrible meurtre de l'année dernière. Un grand drame pour sûr. Je pensais que justice avait été rendue ? Visiblement votre tante, toute gentille d'apparence, n'a pas l'air de vouloir s'en contenter. Si c'est le pirate que vous voulez, je peux me renseigner. C'est un ami proche de ma sœur d'après ce que j'ai comprit, mais cela fait un moment que je ne l'ai vu, depuis le procès de son époux je crois.
Cinqfoy se mit à rire.
- On peut dire que vous ne perdez pas votre temps vous. Vous êtes direct, là où d'autres seraient passés par les tortillons sinueux de la ruse, à parler sans dire ce qu'ils voulaient dire, vous, vous êtes franc. J'apprécie cela.
Mais détrompez-vous, l'élection à Vassy n'est pas le seul sujet qui m'amène. Je suis venu pour apprendre à vous connaître. Plusieurs rumeurs courent sur vous. On dit que vous êtes né bâtard, élevé par des paysans, et que vous avez apprit le métier de la forge. Peu m'importe tout cela, la maison de Montfay est puissante en Cahogne, elle mérite mieux qu'une vieille femme et un arriviste venu de l'étranger pour la diriger, si vous êtes le fils légitime de Henri, alors vous êtes son héritier.
J'aimerai connaître votre position sur la religion et sur l'Eglise. Cela ne vous dérange pas que votre oncle soit Canes ? Tout ce faste déployé, ces bijoux d'argent et cette vaisselle d'or, cette nourriture gâchée alors que d'autres meurent de faim, ceux là même que l'Eglise est censée protéger et servir. Vous qui avez grandit dans l'humilité d'un petit village, cela ne vous révolte pas de voir toute cette fortune exhibée par notre clergé ?