Le Souriceau sourit et fit un signe de tête à Marie. Il était tout disposé à l'aider, et même enthousiaste. Il repartit en courant.
Mais il ne revint pas. Le soleil s’éclipsa derrière la forêt et la nuit tomba. Elle fut froide, balayée par le vent et la pluie. Marie se recroquevilla sous sa couverture, mais le vent s’engouffrait à travers le trou de la fenêtre pour venir la frigorifier. Le lendemain, la cour était boueuse.

Le Souriceau muet n'allait jamais revenir, lui aussi l'avait abandonné, tout comme sœur Gabrielle. Maris était seule, elle n'avait plus d'amis, plus de famille...
Mais à la même heure que la veille, à nouveau de petits graviers vinrent frapper à la fenêtre. Gus était revenu ! Mais il était seul.
Il haussa les épaules plusieurs fois, il n'avait trouvé personne ou bien personne n'avait voulu l'aider. Au moins qu'il n'est pas réussi à expliquer la situation... Quoi qu'il en soit, il revenait bredouille.
Malgré ça, il semblait toujours vouloir aider.

Revoir Gus lui redonna un peu d'espoir. Alors quand il parti, elle retrouva son énergie. Elle s'habilla d'habits simple; des chausses, des bottes, une chemise blanche et un pourpoint brun sans manche. Des habits de garçon, oui, mais que les sœurs toléraient pour quand elle travaillait avec elle.

Elle osa même demander de la nourriture en plus, disant qu'elle avait jeté la nourriture des derniers jours par désespoir. Elle devait se faire une petite réserve. Ou bien, si elle fuyait, elle devrait allée au village de Gus.

Gus ne revint pas le lendemain matin, alors elle faillit perdre confiance. Mais, plus tard, quand elle entendit ses gravats frapper sa fenêtre, elle sourit et fonça a son poste de guet. Gus était seul, malheureusement, mais semblait toujours aussi prêt a l'aider. Elle lui sourit pour lui dire que c'était correcte, qu'ils allaient devoir se débrouiller seulement eux deux.

"Ma fenêtre est bloquée, je ne peux pas sortir. Tu crois pouvoir entrer et voler la clé? Pour me la lancer par la fenêtre?" articula-t-elle.

Elle posa les mains sur ses hanches.

"Tu as des cordes? Ou un moyen de scier les barreaux de ma fenêtre?"

Le Souriceau fit la moue, pas très enthousiaste à l'idée d'entrer par effraction chez les sœurs. Avec ses mains, il dessina les courbes d'une grosse nonne et fit semblant de se frapper la tête avec un maillet invisible.
Puis il mit son index en l'air avec un large sourire, comme s'il venait d'avoir une idée. Il repartit en courant. Cette fois, il n'attendit pas le lendemain pour revenir. A None, il revint avec une corde et une lime.
Il les montra tout fièrement à Marie. Regardant autour de lui pour vérifier qu'aucune sœur n'allait le prendre en flagrant délit, il escalada la façade et réussi à passer les objets par le carreau brisé de la fenêtre.
Il redescendit et leva ses pousses en l'air vers Marie. Puisque les cloches se mirent à sonner, il repartit en courant.

Le soir même, peu après les vêpres, on vint frapper à la porte de la chambre. Puis on chuchota :

« Marie, c'est Gabby. Je suis désolée, sœur Jeanne ne veut plus que je vienne te voir, elle m'a même retiré les clefs de ta chambre... tout va bien ? »

Elle pouvait voir que Gus n'était pas charmé par l'idée d'entré par effraction chez les sœurs, et elle ne pouvait pas lui en vouloir. Après tout, il ne savait pas que la supérieure, Jeanne, n'était qu'une harpie sans cœur, achetée par l'argent volé par son bâtard de demi-frère, qui ne devait même pas réellement être son frère; il devait plutôt être le fruit des entrailles de sa catin de mère et de l'un des piétons de son père.

Quand Gus mima la grosse sœur qui le battrait, elle ne put s'empêcher de sourire. Oui, elle le comprenait, là aussi. Plus d'une fois, elle avait elle-même du être disciplinée. Quand il revint, plus tard, elle sourit encore une fois, étonnée par l'agilité dont il fit preuve, pour escalader le mur et venir lui porter la corde et la lime. Elle posa sa main sur celle qu'il passa par la fenêtre.

"Merci, Gus. Tu ne sais pas a quel point tu es une source de réconfort et d'aide. Jamais je ne pourrai te remercier assez."

Une fois qu'il fut parti, elle remercia Dieu qu'il lui ait envoyé Gus, puis tenta de limer les barreaux durant une partie de la journée, en silence, jusqu'à ce qu'elle entende frapper a sa porte. Elle dissimula aussitôt la lime et la corde, puis s'approcha de la porte.

"Je ne me suis pas évadée, si c'est ce que vous voulez savoir.." dit-elle.

Ce n'est qu'après qu'elle entendit que c'était Gabrielle.

"C'est parce qu'elle veut que je meurs, Gabby. Tu sais que j'ai raison. Elle est complice de mon frère. Quand le vidame viendra, il me tuera. Alors non, cela ne va pas bien. J'ai peur, je prie Dieu pour son aide, et il ne me répond pas. Il détourne le regard de moi, tout comme les gens de bien ici.. Gabby, je dois partir. S'il-te-plait, croit-moi. J'aimerais ton aide, si tu peux m'en fournir. Sinon je devrais accepter le sort que le Bâtard me réserve.."

« Je... je ne sais pas... »

A travers la grosse porte de bois, Marie pouvait sentir tout le doute dans la voix de sœur Gabrielle.
Avec le temps, la moniale avait fini par croire à l'histoire de Marie, sa vie semblait réellement menacée.

« Je ne peux pas te libérer... ce serait comme renoncer à mes vœux. J'ai passé toute ma vie dans ce prieuré, si j'en suis banni je ne saurais où aller, j'en mourrais. »

Elle hésita un instant. Puis elle finit par dire :

« En vérité Marie, je suis venu te prévenir. Soeur Jeanne a reçu une lettre ce matin, une lettre du vidame. Il sera là dans 3 jours... Je ferais tout pour t'aider, dit moi ce que je peux faire pour toi. »

Ce que Gabby ne savait pas, c'est que la jeune femme avait réussi a se dégager un passage tout juste suffisant pour sa taille fluette dans la fenêtre. Elle jetait de temps en temps un regard derrière, espérant que ce n'était pas trop visible, puis se concentra sur la porte au moment ou Gabby disait qu'elle ne pouvait pas trahir ses voeux.

Elle allait soupirer et secouer la tête, mais Gabby se reprit, lui proposant même son aide. Surprise, elle restant sans voix pendant un instant. Puis elle sourit.

"Gabby, tu me sauves!" dit-elle.

Elle sentait vraiment l'espoir renaître. Avec la corde et le passage dans la fenêtre, elle pourrait encore quitter sa chambre. Et avec le soutient de Gabby, elle pourrait peut-être sortir du couvent sans se faire prendre.

Puis elle lui dit que le vidame serait là dans trois jours. Elle avait donc trois jours pour mettre son plan a exécution. Ce serait juste.

"Il me faudrait faire quelques réserves de nourriture, Gabby.. Au moins pour un jour ou deux. Et il faudrait que, la nuit, quelqu'un laisse la porte du couvent déverrouillée, ainsi que celle des écuries. Peut-être aussi du chenil. Comme ça, je pourrais partir en libérant les chiens et les chevaux, pour que personne ne puisse me suivre... Et j'aimerais que tu viennes avec moi. Tu es mon amie, Gabby, et tu as été comme une mère pour moi ces dernières années. Je sais que je n'ai pas toujours été facile a vivre.. Mais j'ai besoin de toi."

Soeur Gabrielle resta silencieuse un instant avant de reprendre.

« Je ne peux pas Marie. Ma vie est ici, dehors je ne survivrais pas. Tu ne sais même pas où tu vas. Où va tu dormir ? Comment vas tu te nourrir ? Te laver, t'habiller, te chauffer ? Il va falloir que tu traverses la forêt, probablement que les hommes du vidame vont te chercher partout. Il y a mille dangers dehors, tu ne te rends pas compte... Jamais je ne pourrais te suivre, j'en serais incapable. »

La voix de la moniale tremblotait de désespoir. Elle savait que sortir d'ici n'allait pas être le plus dur pour Marie. Ensuite il allait falloir survivre, seule, dans un monde quasiment inconnu pour elle.

« Tout ce que je peux faire, c'est préparer au mieux ton départ. Demain dans la journée j'irai enterrer un sac dans la cour, avec quelques vivres, de l'eau, des vêtements propres et un peu d'argent. Je mettrais une pierre blanche sur l'emplacement, tu n'auras qu'à récupérer le tout.
Pour ce qui est des portes, je ne te promets rien. Les sœurs font des rondes la nuit, encore plus depuis ta tentative d'évasion. Elles vérifieront certainement la bonne fermeture des serrures...
Je vais essayée, mais je ne te garantis rien. »

La jeune femme hocha doucement la tête. Gabby ne voulait pas venir, ne pouvait pas venir. C'était un coup dur, car la nonne était celle qui prenait ses confessions, et qui s'occupait d'elle depuis son arrivée. Elle avait été sa 'mère' de substitution, en quelque sorte. Plus gentille que son ancienne gouvernante, au palais. Lui lisant des histoires, comme sa mère le faisait. Et maintenant, elle allait devoir se passer d'elle, sachant qu'elle allait peut-être même être punie pour son évasion, si elle réussissait a fuir.

"Une dernière chose?" dit-elle. "Si je réussi a m'évader, pourriez-vous dire que vous m'avez entendue dire que je voulais allez dans les terres de la famille de ma mère, pour y chercher refuge?"

Si elle réussissait a envoyer ses poursuivants vers cette direction, cela lui laissait une chance de rejoindre la Cahogne. Si elle pouvait atteindre le Vaujour, elle n'aurait qu'a se rendre aux Cahons et demander a voir leur Duc. Ou mieux, elle pourrait traverser jusqu'en Cahogne et jusqu'à Soulans, pour demander protection et aide.

Puis elle attendit. Si Gus revenait en ce jour, elle lui dirait ou seraient cachées les provisions, pour qu'il les récupère. Et il lui donnerait rendez-vous dans les bois non loin du couvent, pour quand elle s'échapperait, tout en ce demandant comment elle allait lui demander de l'accompagner. Car une jeune femme ne peut voyager seule, elle aurait besoin de quelqu'un habitué a la vie dans la région, et qui connaissait la région, pour la guider vers la Cahogne.

Des bruits provenant de l'escalier vinrent déranger sœur Gabrielle et Marie dans leur discussion secrète.

« Quelqu'un arrive, je dois te laisser. Je vais faire mon possible Marie. Soit prudente. Que le Paraclet veille sur toi. »

Gus le Souriceau revint le lendemain, à la même heure que d'habitude. Profitant de l'absence des sœurs à ce moment de la journée, Marie lui expliqua comment récupérer les vivres laissées par Gabrielle et où l'attendre le lendemain soir pour sa grande évasion. Gus, toujours animé par le même enthousiasme, acquiesça de la tête avec énergie, tout heureux de pouvoir aider la jeune fille.
Ce n'est que le lendemain, la veille de la venue du vidame, que Marie parvint à dégager les barreaux de sa fenêtre. Datant du siècle dernier, fatigué par les intempéries successifs, il avait été plus facile que prévu d'entamer le métal usé avec la lime.
Grâce à la corde de Gus, Marie descendit de sa fenêtre après avoir attendu la fin de la ronde d'une sœur. Cette fois, la sortie de sa chambre fut moins périlleux que la dernière fois, elle n'était pas couverte de suie et ne se fit pas mal au derrière.
A nouveau, elle se retrouvait dans la cour, prête à fuir l'enfer. Depuis quelques jours, le temps était pluvieux et froid, la cour avait été labourée par les averses, gorgeant la terre d'eau en la rendant marécageuse. Cette nuit la, l'air était sec, mais le vent frai.

Marie fit un rapide tour. La grande porte du prieuré était toujours fermée par la poutre que Marie était incapable de soulever seule, les sœurs elles même s'y mettant à trois pour le faire. La cage des chiens n'était pas fermée à clef, mais par un simple loquet, et l'écurie était ouverte, mais pour cause : il n'y avait dedans aucun cheval, les sœurs n'en possédaient pas et la chambre des hôtes étaient vides suite au départ des marchands valentins.
Comme sœur Gabrielle l'avait prévenu, il allait être difficile pour elle de garder une porte ouverte pour sa sortie. Marie se retrouvait enfermée dans la cour. Il fallait lui trouver un moyen de passer les remparts.
Escalader ? Il était impossible de le faire à mains nues.
Creuser un trou sous la grande porte ? Cela allait lui prendre toute la nuit.
Elle savait aussi qu'il existait d'autres sorties pour rejoindre l'extérieur et sa liberté : une porte dans l'abbatial, une autre dans l'arrière cuisine et une autre dans la remise de l'atelier. Mais certainement que ces portes allaient être fermées à clef. Cette clef, c'était la sœur principale qui la gardait dans sa chambre la nuit...

Carte:

"D'accord. Soit prudente."

Gus revint donc ce soir là, et Marie lui expliqua son plan. Il semblait aussi enthousiaste qu'elle, sinon plus, alors elle ne réprima pas son sourire. Elle allait s'en sortir, il le fallait. Et avec l'aide de Gus et d'Abby, elle serait loin quand le vidame allait arriver. Elle lui souhaita bonne chance et lui promis qu'ils se reverraient le lendemain, puis se coucha.

Le lendemain, elle passa la journée tranquille, a essayer de se préparer mentalement. Si elle échouait, elle serait condamnée, car le vidame arrivait le lendemain. Alors elle s'assura d'être prête. Elle s'habilla de ses habits de travail; un pantalon, une chemise, des bottes et un pourpoint sans manche. Des vêtements simples, pour le voyage. De plus, avec ses vêtements, elle pourrait presque passer pour un garçon, si elle salissait son visage et mettait un chapeau. Elle allait devoir en emprunter un a Gus, probablement.

Une fois la nuit tombée, la jeune femme sorti finalement de sa chambre, a nouveau, utilisant la corde pour descendre. Et Dieu que c'était plus facile de sortir ainsi que par la cheminée. En arrivant en bas, elle n'avait pas tout les muscles endoloris, et ne s'était pas brisée le fondement.

Elle remarqua que la porte était, bien sur, bloquée. Alors elle n'avait plus le choix. Elle allait devoir passer par la chambre de la Harpie pour voler sa clé. Elle serra sa fronde dans sa main, soupira puis se dirigea, aussi discrètement que possible, vers cette dernière, espérant ne pas être repérée en route.

Si elle peut s'y rendre sans être repérée, elle entrera dans la chambre aussi silencieusement que possible, sa fronde a la main, prêt a balancer un rocher sur Jeanne si elle se réveillait et faisait mine de crier. Si elle ne réveillait pas Jeanne, elle volerait la clé, puis irait libérer les chiens pour les amener avec elle en sortant par la porte de la cuisine. Si Jeanne la repérait, mais sans crier, elle allait devoir aviser et trouver un moyen de la convaincre de se taire.

Déterminée à s'en sortir cette fois, Marie prit son courage à deux mains et fit le tour par le cloître pour rejoindre la chambre de la vieille harpie.
Elle se retrouva devant l'entrée de son antre et, prudemment, tenta d'ouvrir la porte sans trop la faire grincer. Elle ne savait pas ce qui l'attendait derrière, sœur Jeanne devait dormir probablement, mais si elle était éveillée, elle allait devoir agir vite.
Le cœur battant, Marie chargea la poche de sa fronde d'une grosse pierre, prêt à tirer, puis entra.
La pièce était luxueuse, avec de beaux meubles, de la vaisselles d'argent, des tapisseries accrochées aux murs... la sœur principale ne se refusait rien, sa chambre était digne d'une baronne, pas très en
phase avec la vie modeste que menaient les moniales du prieuré.
Au milieu de la pièce se trouvait une riche cathèdre sculptée, légèrement tournée vers l'âtre en feu d'une cheminée qui réchauffait toute la pièce.
Soeur Jeanne était là, assise prés des flammes, les mains jointes. Marie eu un sursaut lorsqu'elle la vit, elle sentit son cœur s'emballer, ses poils se hérisser et le froid lui parcourir l'échine de bas en haut. Mais la sœur principale avait les yeux fermées et semblait ronfler...
Près d'elle sur une petite table, une assiette vide avec les restes de son repas : des os de poulet, des miettes de pain, un trognon de pomme et un fond de vin... La sœur avait à sa disposition tout ce qu'elle refusait à la jeune fille depuis trois ans : du bois pour la cheminée, de la nourriture en abondance, des vêtements propres, de beaux meubles...
Mais Marie n'était pas là pour ruminer sa haine, il lui fallait trouver la clef et vite. Elle chercha d'abord du regard, mais ne trouva pas. Alors elle fouilla quelques affaires sur un meuble, puis ouvrit un malle et farfouilla dans du linge.
Soudain, une voix sévère s'éleva dans son dos.

« Mais comment as tu fait pour sortir de ta chambre cette fois ? »

La sœur principale s'était réveillée et regardait Marie de ses yeux de sorcière. La vieille rigide fixait la jeune fille d'un air austère, semblant prête à lui sauter au cou pour l'égorger de ses propres dents.

« C'est cela que tu cherches ? »

Soeur Jeanne tenait la clef dans sa main, accrochée à son cou par une ficelle. Marie aurait pu la chercher longtemps.

« Et que comptes tu faire une fois dehors ? »

La jeune femme progressa en silence dans les couloirs du bâtiment, déterminée à s'en sortir. Elle se rendit à la chambre de Jeanne, la Harpie, celle qui semblait tant la détestée, et ce depuis son arrivée il y a quelques années. Elle prit une profonde inspiration, puis ouvrit la porte et entra, après avoir préparée son arme, mettant une pierre dans la poche de sa fronde.

C'était une chambre modeste, il fallait s'y attendre. La jeune femme fouilla aussi silencieusement que possible, essayant de ne pas réveiller le dragon qui dort. Mais alors qu'elle fouillait dans une malle, elle entendit la voix du dragon en question. Elle se mordit la lèvre, puis se retourna vivement, l'arme prête.

"Comment je suis sortie n'est pas important." dit-elle en fixant Jeanne.

Elle restait sur ses gardes, prête a tirer sa roche en plein visage de Jeanne si celle-ci tentait de crier pour alerter les autres nonnes. Après tout, si elle ne s'échappait pas ce soir, s'en était fini d'elle. Aussi simple que cela. Elle devait être prête a tuer pour sauver sa vie. Chose qu'elle n'avait jamais fait, bien sur.

Jeanne sembla se moquer d'elle, lui montrant la clé qu'elle cherchait. Elle se mordit a nouveau la lèvre, puis fixa Jeanne dans les yeux.

"Ce que je compte faire? Ne pas être assassinée dans un couvent, pour commencer. Comment pouvez-vous approuver les actes de mon demi-frère? Vous, plus que quiconque, auriez du vous élevée contre cela. Vous êtes supposée être le garant de la Foi et de la décence. Et pourtant, vous êtes prête a me laisser être assassinée, pour de l'argent. Comment pouvez-vous? Comment osez-vous vous faire appelée Sœur Supérieure alors que vous êtes complice d'un acte aussi immoral, aussi indécent?"

Essayait-elle de convaincre Jeanne de changer de camp, de la laisser partir? Oui, bien sur. Car même si Jeanne ne l'aimait pas et n'avait jamais été gentille avec elle, Marie restait une jeune femme innocente, elle ne voulait pas la mort de la vieille femme. Elle voudrait pouvoir sortir avec la bénédiction des moniales, bien sur, mais elle ne savait pas si elle avait des chances. Est-ce que Jeanne avait seulement pensée a tout cela, au cours des derniers jours? Avait-elle pensée au salut de son âme? Elle ne pouvait qu'espérer que oui, car elle ne voulait pas tuer, même si elle était prête a le faire, pour sauver sa vie.

"Ce que je veux, c'est pouvoir vivre ma vie. Je refuse que mon demi-frère, cet être infâme et impie, ne me tue. Et je veux, par la grâce de Dieu, trouver un endroit ou je pourrai être en sécurité, loin des intrigues et des complots meurtriers du bâtard.. Alors que décidez-vous, Sœur Supérieure? Allez-vous poursuivre sur la voie de la damnation et supporter mon demi-frère? Ou allez-vous me laisser partir?"

La sœur supérieure affichait un sourire mauvais, regardant Marie avec des yeux de loup. On aurait dit une vieille ogresse prête à dévorer son repas.

« Tu ne sais pas de quoi tu parles ma petite. Je n'approuve pas les actes de ton frère, je les répugne. Mais c'est grâce à lui et à son argent que nous pouvons survivre. Tu n'es qu'une enfant qui a grandit loin des dangers, bien au chaud dans un palais à l'abri de tout. Tu ne connais rien à la dureté du monde !
Regarde toi, tu t'imagines déjà sortir d'ici et reprendre ton trône. T'es tu seulement demandé si le Valais voulait de toi ou bien si le Valais avait besoin de toi ? Si les barons t'ont écarté du trône c'est parce qu'il leur était moins pénible d'y voir un bâtard plutôt qu'une sale gamine naïve et idiote ! »

Soeur Jeanne avait presque de la haine dans la voix. Elle détestait Marie, on ne sait pourquoi.

« Notre prieuré dépend entièrement des subventions du comte, s'il nous les coupe nous sommes mortes. Une mère doit savoir faire des sacrifices pour protéger ses enfants. Tu es ce sacrifice. »

La soeur se leva d'un bond, le regard déterminé, elle était encore vive pour son age. Elle tenait dans sa main un couteau, celui qui lui avait servit pour son repas. Elle pointa la lame pointue vers Marie.

« Ma petite, tu ne sortiras pas d'ici ! »

En voyant le sourire mauvais de Jeanne, la jeune Marie comprit qu'elle n'allait pas changer d'avis. Elle était trop corrompue, tout simplement. Trop avancée, trop engagée, dans cet obscur chemin.

"Vous croyez que Dieu vous pardonnera?" demanda-t-elle.

Elle sourit a son tour.

"Pour des moniales qui êtes supposés vivre modestement, vous aimez beaucoup trop l'argent, Jeanne. Oui, je dis Jeanne, et non Sœur, car vous ne méritez pas ce titre. Vous n'êtes pas une religieuse, vous n'êtes qu'une catin qui vend son âme pour un peu d'argent."

Elle pouvait voir que Jeanne était sur le point de faire quelque chose de stupide. Quoi? Elle ne le savait pas encore. Mais quand elle sortit une lame, la jeune femme recula d'un pas, puis prit un air déterminé.

"Je sortirai d'ici. Et si je dois vous tuez pour le faire, soit. Ce sera de votre faute. Dieu vous jugera."

Plus de mot, maintenant. C'était le temps de l'action. Alors elle visa, avec sa fronde. Elle visa cette femme de mauvaise foi, cette harpie, cette sorcière, qui lui menait la vie dure depuis des années. Elle resta calme, cependant, ne succombant pas à sa haine ni sa colère. Si elle tuait, ce ne serait pas sous le coup d'une émotion. Elle tuerait par nécessite, jamais par joie. Alors elle visa soigneusement et propulsa sa pierre vers la tête de Jeanne, espérant que le coup la tuerait sur le coup...

Que Dieu la pardonne, mais quel autre choix avait-elle? Elle avait, après tout, donnée une chance à Jeanne d'abandonner ce projet insensé et cruel. Alors elle devait arrêter de geindre et agir. Que Dieu la garde, et qu'Il guide son projectile.

Sœur Jeanne approcha, prête à saisir Marie de ses doigts osseux. Marie fit tourbillonner sa fronde et visa la tête de la moniale, se rappelant les moments passés à la chasse avec son père lorsqu'il lui apprenait à s'en servir. Mais l'heure n'était pas à l'émotion.
La pierre fendit l'air dans un sifflement et vint s'éclater sur le front de la sœur. Après un cri de surprise, elle s'effondra lourdement au sol...
Marie venait de venger 3 années de mauvais traitement. Elle s'approcha et retourna le corps lourd de la sœur pour attraper la clef autour de son cou. La soeur serrait toujours dans sa main le couteau avec lequel elle voulait planter la jeune fille. Mais son front était marqué profondément par la pierre. D'un cratère cramoisi s'écoulaient des filets de sang. La sœur avait les yeux ouverts, révulsés. Elle semblait morte.

Une fois la clef de la liberté en main, Marie pu observer plus attentivement la pièce. Sans la présence de la sorcière, la chambre semblait apaisée comme dégagée d'une aura maléfique.
La cheminée était surmontée d'une icône religieuse représentant sainte Eustelle, sœur de saint Sabin et première sabine, accompagnée une croix d'or et un chapelet d'ambre. A côté de l'âtre se trouvait un tisonnier en fer forgé terminé par une pique.
Accrochées au mur de droite, des étagères étaient remplies de flacons et de pots : des décoctions, des baumes, des onguents, des cataplasmes... Marie savait que sœur Jeanne avait été une sœur hospitalière et disposait de grandes connaissances en médecine.
Sur un secrétaire était amassé un tas de papiers avec une plume et de l'encre. Certaines lettres étaient marquées du sceau du Valais, envoyées probablement par le comte.
Mais il ne fallait pas traîner, le bruit de l'altercation avait peut être attiré les autres sœurs...

Sœur Jeanne tomba sur le coup, avec un bref cri. Quand Marie la retourna, elle put voir le sang qui coulait, les yeux révulsés. La sœur tyrannique était bel et bien morte. La jeune femme sentit un bref malaise, ayant le goût de vomir. Mais elle se retint et attrapa la clé, puis abandonna le cadavre de la harpie.

Elle fouilla brièvement dans les choses de Jeanne, prenant les lettres, pour les lire plus tard, et la dague de la moniale. Une arme de plus, ça ne se refusait pas. Et elle en aurait peut-être besoin plus tard. Elle essaya ensuite de ramasser quelques onguents et cataplasmes, au cas ou elle serait blessée pendant son voyage.

Une fois tout cela fait, elle quitta la chambre, marchant rapidement mais aussi discrètement que possible. Elle voulait allez libérer les chiens, puis fuir avec eux par la cuisine. Si elle pouvait les faire quitter le couvent, le vidame ne pourrait pas les utiliser pour la faire suivre. Et elle garderait bien sur l'un des chiens avec elle, au cas ou Gus ne voudrait pas l'accompagner. De cette façon, elle aurait au moins un compagnon de voyage.

Si tout cela réussissait, la jeune femme partirait vers le point de rendez-vous avec Gus et l'attendrait quelques heures, espérant qu'il serait bien là.

Se fabriquant un baluchon avec quelques draps, Marie emporta avec elle son butin volé à la sœur principale. Meurtrière et voleuse, voilà ce qu'était devenue Marie ?
Prudemment, elle quitta la pièce. Le cloître avait l'air calme, personne semble t-il n'avait entendu la bagarre. Elle sortie rejoindre la cour, attendit qu'une des sœurs termine sa ronde, puis se faufila vers le chenil. Les chiens la reconnurent tout de suite, sautillant de joie et remuant la queue.
Lorsque Marie souleva le loquet pour ouvrir la gage, ils lui sautèrent dessus, manquant de la faire tomber au sol. L'un d'eux se mit à courir partout dans la cour, s'arrêtant pour renifler le sol et lever la patte sur les murs. Un autre était plus intéressé par le baluchon de Marie qui contenait les onguents avec leur forte odeur d'herbe.
La jeune fille tenta de calmer les chiens, s'ils continuaient leur chahut ils allaient finir par attirer les sœurs. Puis elle les dirigea vers la porte de sortie : l'arrière-cuisine.

Les cinq chiens suivirent discrètement Marie. Ils passèrent par le réfectoire, puis la cuisine et enfin l'arrière-cuisine. Ici les sœur stockaient leurs vivres. La porte donnant sur l'extérieur, on leur livrait ici les provisions du mois qui rentraient directement dans le prieuré par là. Sur des étagèrent il y avait un tas de cageots et de paniers pleins de légumes, des bocaux remplis de fruits, des sacs gorgés de grains. Du plafond pendaient de gros saucissons.
La profusion de nourriture fit tourner la tête des chiens. Ils se mirent à s'agiter, à hurler. L'un d'eux monta sur une table pour atteindre les saucissons, renversant des bocaux qui se brisèrent sur le sol. Le bruit fit aboyer l'un des chiens, suivit par un autre, pendant que le reste se battait pour la nourriture. Si le meurtre de sœur Jeanne n'avait pas attiré l'attention des moniales, il est certain que cette fois les chiens avaient réveillé tout le couvent.
Pris de panique à l'idée d'être prise si près du but, Marie se précipita vers la porte et dû se reprendre plusieurs fois pour réussir à enfoncer la clef dans la serrure. Dans son dos elle sentait du mouvement, des bruits de pas et des paroles.
Avant qu'elle n'ait réussi à ouvrir la porte, une sœur, celle qui faisait sa ronde dans la cour, entra dans l'arrière-cuisine.

« Qu'est ce que ?! »

Approchant, les chiens lui grognèrent après, protégeant non pas Marie mais leur nouveau garde manger. La sœur n'eut pas le temps de les gronder que l'un d'eux lui chopa la manche de sa robe pour la tirer violemment au sol. Un autre en profita pour la mordre au mollet.
Marie réussie à ouvrir la porte et à fuir, alors que d'autres sœurs arrivaient.
Elle couru dans la forêt, éclairée seulement par la lueur de la lune, puis retrouva, essoufflée par sa course, le lieu de rendez-vous.
Gus le Souriceau était là à l'endroit prévu, étonné de voir Marie hors d’haleine. Il haussa les épaules d'un air interrogatif, lui demandant ce qu'il s'était passé, puis il prit Marie par les épaules et la regarda dans les yeux. Il se pointa du doigt, puis elle, et frappa ses deux poings fermés.

Elle trembla tout le long du temps ou elle ramassa des choses dans la chambre de la Harpie, incapable de contrôler ces tremblements. Elle n'avait jamais tuée avant, après tout. Elle avait envie de vomir, mais elle devait se retenir et s'échapper. Elle se sentirait mal plus tard.

Elle réussit a libérer les chiens, qui la suivirent vers la cuisine. Mais les choses se gâtèrent rendu là. Une moniale les vit, et fut attaquée par les chiens. La jeune femme tenta de tirer les chiens loin, pour qu'ils laissant la pauvre femme en paix. Puis elle s'enfuit à l'extérieur, avec ceux des chiens qui la suivaient toujours.

Elle couru comme jamais avant, dans les bois, vers le point de rendez-vous. En chemin, elle tenta de convaincre certains des chiens d'allez courir dans la nature, ne voulant garder avec qu'elle qu'un seul des chiens, celui qu'elle aimait le plus; le plus petit du lot.

Elle arriva enfin au rendez-vous et trouva Gus. Avant de pouvoir parler, elle s'effondra, tomba a genou, le corps tremblant. Elle avait les larmes aux yeux. Elle leva les yeux vers lui, puis lui montra la dague de la Harpie d'une main tremblante.

"La Harpie.. elle.. elle a voulue me tuer.. J'ai du... j'ai du..."

Elle leva les yeux.

"Je dois partir loin d'ici.. Est-ce que tu viens avec moi?"

Toujours animé du même enthousiasme, Gus agita la tête de bas en haut, puis il prit Marie dans ses bras.