- Un pirate vous dite ? Cinqfoy fouilla dans sa mémoire un instant, sans comprendre où Fernand voulait en venir. Oh oui, vous faite certainement référence à cette horrible meurtre de l'année dernière. Un grand drame pour sûr. Je pensais que justice avait été rendue ? Visiblement votre tante, toute gentille d'apparence, n'a pas l'air de vouloir s'en contenter. Si c'est le pirate que vous voulez, je peux me renseigner. C'est un ami proche de ma sœur d'après ce que j'ai comprit, mais cela fait un moment que je ne l'ai vu, depuis le procès de son époux je crois.
Cinqfoy se mit à rire.
- On peut dire que vous ne perdez pas votre temps vous. Vous êtes direct, là où d'autres seraient passés par les tortillons sinueux de la ruse, à parler sans dire ce qu'ils voulaient dire, vous, vous êtes franc. J'apprécie cela.
Mais détrompez-vous, l'élection à Vassy n'est pas le seul sujet qui m'amène. Je suis venu pour apprendre à vous connaître. Plusieurs rumeurs courent sur vous. On dit que vous êtes né bâtard, élevé par des paysans, et que vous avez apprit le métier de la forge. Peu m'importe tout cela, la maison de Montfay est puissante en Cahogne, elle mérite mieux qu'une vieille femme et un arriviste venu de l'étranger pour la diriger, si vous êtes le fils légitime de Henri, alors vous êtes son héritier.
J'aimerai connaître votre position sur la religion et sur l'Eglise. Cela ne vous dérange pas que votre oncle soit Canes ? Tout ce faste déployé, ces bijoux d'argent et cette vaisselle d'or, cette nourriture gâchée alors que d'autres meurent de faim, ceux là même que l'Eglise est censée protéger et servir. Vous qui avez grandit dans l'humilité d'un petit village, cela ne vous révolte pas de voir toute cette fortune exhibée par notre clergé ?

- Sous prétexte que cela serait long et pénible, il ne faudrait rien faire pour lutter contre les injustices de ce monde ? Selon moi, cela arrangerait plus de problèmes que cela pourrait en créer. Libérer le peuple de cette église corrompue, répartir les richesses accumuler par ces prélats, arrêter avec ce monopole des sacrements.
La cupidité est un péché, cela vous parait normal qu'un évêque porte de l'or et plein de belles choses là où le simple croyant a du mal à manger ? L'évêque, suivant l'exemple des apôtres, ne pourrait-il pas vendre une bague pour nourrir le pauvre ? Pourquoi ne le fait-il pas ?
Ce genre de prélats, qui se réservent le droit d'absoudre les âmes alors que la leur est moisie par l'avarice, gangrènent la sainte église. Nous sommes plusieurs à penser qu'une grande réforme est nécessaire et indispensable pour nettoyer le clergé de ces parasites. Cela ne vous intéresserez pas de participer à ce changement ?
Au loin, les valets prêtés par Tallandier commençaient à s'agiter. On avait visiblement repéré un sanglier dans les fourrés. Hugon de Lanta se précipita pour remonter sur son cheval.
- Sire Fernand, armé votre arc ! Nous mangerons du sanglier ce soir !

Le Dogue Rouge se précipita à la poursuite du sanglier, laissant Fernand et Cinqfoy remonter sur leurs chevaux en continuant leur discussion.
- Vous avez raison de faire preuve de prudence, vaut mieux ne pas s'opposer ouvertement à l'Eglise, il faut y aller de manière subtile. Mais notre future réforme se joue dès maintenant. Voyez-vous, le candidat du duc à l'évêché, Valéry de Saint-Saëns, est un vieillard Canes dans le style de votre oncle. L'autre candidat, mon propre frère, a la jeunesse pour lui et est un fidèle judicalien. Nous sommes en minorité dans l'épiscopat de Cahogne, un évêque Judiclien de plus ne serait pas de trop pour nous représenter. Si c'est le Saint-Saëns qui est élu, les Canes vont nous imposer leur vision de la religion.
Mais rassurez vous, avec mon soutien, je vous garantis que vous n'aurez pas de mal à faire reconnaître votre légitimité. Je pourrais activer mon réseau d'alliance du côté de la Trémanche. Je suis aussi proche de madame Constance, la duchesse-mère, elle pourrait aussi jouer en votre faveur auprès de son fils si je lui demandais.
La petite troupe reparti au galop.
- Allez donc, je ne suis pas très friand de chasse au sanglier, je préfère la fauconnerie, dit Conqfoy à Fernand en lui faisant signe de partir sans lui.
Les chiens s’excitaient à courir après le vilain cochon sauvage, les cavaliers à leur suite.
- Là le cochon ! S'écria Hugon de Lanta qui avait vu l'animal dans les fourrés.
C'était une grosse laie avec trois de ses marcassins qui se carapatait pour sauver sa vie. Les chiens les poussaient vers les chasseurs. A un moment, Fernand se retrouve en bonne position pour lui décocher une flèche.
[difficulté du tir : 300 ; compétence archerie de Fernand : 203 ; chance de réussir : 40%]

- Ce n'est pas passé loin sire Fernand ! Commenta Hugon de Lanta avec enthousiasme, tout heureux de voir son protéger excellé à la chasse. Au point d'eau ! Enchaîna le Dogue Rouge pour soutenir Fernand. Celui-ci, jeune et encore sans grande légitimité, avait toujours bien du mal à se faire obéir.
Les chiens et les rabatteurs suivirent les instructions et rapidement la bête et ses petits se retrouvèrent coincés contre une rivière.
- Une nouvelle chance sire ! S'écria Hugon à direction de Fernand.
Le jeune baron banda à nouveau son arc.
[Réussite du jet d'archerie]
La flèche vint se figer dans l'arrière train de la bête qui hurla de douleur dans un cri strident. Animée par l'instinct maternelle, elle ignora sa blessure pour protéger ses petits. La laie regarda son agresseur avec fureur, puis dans un dernier baroud d'honneur, elle lui fonça dessus.
De peur, le cheval de Fernad se cabra, mais la bestiole en colère fut interceptée par la lance d'Hugon de Lanta. Le sanglier s'écroula, une flèche dans le cul et une lance dans la gorge.
- Bravo monseigneur ! Félicita Hugon.
Les valets se précipitèrent pour récupérer l'animal et prendre les marcassins laissés orphelins.
A petits trots, Cinqfoy rejoignit le groupe.
- Sire, si vous le voulez bien essayer d'en parler à votre oncle. Bien sûr, sans aborder le sujet de la religion. Je ne pense pas qu'il soit très intéressé par faire élire un évêque qui ne soit pas de son bord, mais mon alliance pourrait l'intéresser.

Après la chasse, on était rentré au château. Le sanglier alla directement aux cuisines pour y être préparé. Bien que c'était la lance d'Hugon de Lanta qui l'avait tué, le Dogue Rouge insista pour attribuer tout le mérite à son protégé. Fernand fut ainsi félicité pour sa victoire face à l'horrible bête qui allait être mangée au repas du soir.
C'est dans son bureau que Fernand retrouva son oncle, affairé à répondre à plusieurs courriers qu'il avait reçu. A ses côtés se trouvaient un prêtre de son diocèse, qu'il congédia lorsque son neveu entra. L'évêque fût heureux d'apprendre que la chasse s'était bien passée et que son neveu s'y était illustré, mais resta songeur sur l'autre sujet.
Il se doutait bien que le baron allait profiter de cette sortie pour approcher Fernand et se révéler un peu plus, il l'avait même espéré.
- Le mauvais est que j'ai déjà promis au duc de voter pour son candidat. Il risque de mal le prendre si nous changeons d'avis, surtout que c'était une faveur pour ne pas avoir a payer l'écuage.
Mais l'offre de Cinqfoy est intéressante aussi, c'est un baron avec beaucoup d'influence. Si Eudes ne soutient pas notre cause, Thomas d'Estaing sera un allié de poids. Après le duc, le comte de Trémanche est le seigneur le plus puissant de Cahogne, et depuis son mariage avec la comtesse Clotilde, il a tout l'ancien réseau des rebelles autour de lui.
Tallandier faisait référence aux barons qui avaient soutenu Raoul de Porez, le père de Clotilde, lors de la guerre civile de Cahogne. Louis de Cinqfoy était l'un des principaux meneurs de la rébellion, avec les Tour d'Arcy et les Roche-Bouillon, grâce à qui le comte avait pu revendiqué le trône de son cousin Hugues III.
L'évêque s'enfonça dans sa cathèdre, les mains jointes sur son ventre, et resta pensif un instant.
- Le choix qui s'offre à nous est donc le suivant : est ce que l'on doit jouer contre le duc en s'allier à ses rivaux ou bien lui rester fidèle en espérant ses bonnes grâces ?
Fernand, c'est à toi de décider. Je peux te conseiller et répondre à tes questions, mais tu dois te préparer dès maintenant à être le seul baron de Montfay. Comme tu peux le voir, dit-il en désigna sa table remplit de papiers, de diplômes et de lettre encore non lues, j'ai déjà bien à faire avec mon diocèse. Si j'ai cherché un fils d'Henri, c'est aussi pour ne plus à avoir à régenter le domaine de ma famille. Interroge ceux qui te semble être de bons conseils, mais toi seul décidera ce qui est le mieux.

Fernand retrouva sa tante Hélène dans l'une des petites cours du palais.
Elle était assise sur un banc de pierre à surveiller son fils, drapée dans une belle robe bleue aux manches longues et évasées, ouverte sur sa poitrine ornée d'un torque d'or à la mode de Valentine, des fleurs dans ses cheveux attachés par un ruban lui cerclant le front. Jean et Aymeric s'entraînaient -ou plutôt jouaient- avec des épées de bois au centre de la cour, le page montrant au jeune baron quelques mouvements qu'il avait pu apprendre, sous le regard mécontent de deux chanoines qui se plaignaient en murmures. Jean, trop jeune pour prendre cela au sérieux, s'amusait des gestes du page. C'était la première fois que Fernand pouvait le voir rire comme ça.
- Bien, bien, répondit Hélène à son neveu qui l'informait des avancées de son enquête officieuse.
Aymeric, peux tu emmener Jean plus loin ?
- Oui madame. Viens Jean, je vais te montrer mon bouclier, un vrai que le seigneur Fernand m'a offert, dit-il plein d'enthousiasme.
Une fois que les deux enfants étaient assez éloignés, Hélène perdit son sourire de façade et prit un air plus sérieux.
- Fernand. Sais tu ce qu'ils ont fait à mon époux ? Nous n'avons pas pu exposer son corps pour la veiller funèbre tant il était mutilé. Je n'ai pu revoir une dernière fois mon mari et mon fils n'a pu revoir son père. Jaloux de sa beauté, il l'ont défiguré à le rendre méconnaissable.
Elle parlait avec de la colère dans la voix et des larmes au bord des yeux. Il était étonnant de voir une si jolie femme, douce et timide, renfermer autant de haine.
- Ils ont lacéré ses joues, crevés ses yeux et arrachés ses dents. Je veux que tu retrouves ce pirate Fernand, et que tu l'égorges comme un porc. Je mettrai tout en œuvre pour que puisse me venger, tout mon or s'il le faut.
La baronne reprit son calme et essuyant ses yeux dans un mouchoir de soie.
- J'imagine que le baron n'a pas promis de s'informer sans compensation, et je me doute qu'il ne soit pas venu juste pour chasser en ta compagnie. Dit moi comment je peux t'aider.

Elle posa sa main douce sur celle de Fernand et plongea ses beaux yeux verts dans les siens. Son regard était dur et plein de détermination.
- Alors ranges toi du côté du comte de Trémanche. Paye l'écuage au duc et vote pour ce moine, j'en ferais de même. Peu importe le soutien du duché si tu as le soutien de l'Eglise. Quand le Concile aura reconnu le mariage de tes parents plus rien ne pourra s'opposer à ton héritage. Tu as déjà le soutien de la maison de Guizet que je régente pour mon fils, si tu as celui de la maison de Cinqfoy et de ses alliés, tu seras à l'abri.
Cette jeune femme à l'air si fragile semblait bien réfléchie et sa connaissance de la politique était surprenante. Assurément qu'elle avait déjà bien réfléchi à comment mener sa vengeance.
- Sire Louis est le seul a pouvoir nous mener au pirate. Il faut à tout prit que tu obtiennes ces informations Fernand.

Hélène retira sa main.
- Merci Fernand, répondit-elle avec sincérité.
Cette histoire de vengeance était importante pour elle, c'est ce qui l'animait chaque jour, faire payer aux coupables ce qu'ils avaient fait à son mari.
Une petite brise vint s'engouffrer dans la cour, emportant avec elle la douce odeur de lavande de la baronne.
- La famille est la chose la plus précieuse. Tu n'en avais pas une dans ta vie d'avant ? Ta mère ne te manque pas ? Et tu n'avais pas de femme ? J'ai beaucoup de prétendants qui viennent me voir chaque jour. Je suis la régente d'une riche baronnie et on dit de moi que je suis belle, cela attire les convoitises de certains... Tu verras que pour nous le mariage est plus d'ordre politique qu'autre chose. J'ai eu la chance de faire un mariage d'amour avec le baron le plus merveilleux de Cahogne, contrairement à ma soeur. Mais Dieu a voulu qu'on m'enlève mon époux, Il n'aime pas qu'on soit trop heureux, cela affaiblit la foi m'a dit Guy. Mon frère ne t'a pas encore parlé de mariage ? Il vaudra que tu t'unisses à une maison du pays. Je connais toutes les jeunes femmes de la noblesse, je pourrais t'en parler à l'occasion.

Fernand quitta Hélène pour partir à la recherche d'Hugon de Lanta qu'il retrouva au détour d'un couloir du château. Le Dogue Rouge avait troqué son armure pour une simple tunique de lin bleu portant le chevron d'argent de sa maison, maintenue à la taille par une large ceinture de cuir d'où pendait l'épée qu'il ne quittait jamais.
- Monseigneur je serai franc et je vous répondrai par une simple question : qui est votre suzerain légitime ? Est-ce le comte ou bien le duc ? Si la puissance du comte de Trémanche égale celle du duc, sa légitimité est bien en dessous.
Hugon de Lanta, qui tenait la fidélité pour la vertu supérieure du chevalier, était un peu choqué des questionnements de Fernand qui s'imaginait déjà jouer contre suzerain.
- Votre rôle à la tête de la maison de Montfay sera de servir votre seigneur, c'est à dire Eudes de Cahogne. C'est en le servant bien que vous allez vous attirer ses faveurs. Si vous lui montrez vos qualités comme vous avez pu me les montrer, il ne pourra que reconnaître votre légitimité.
Hugon secoua la tête en signe de désapprobation, faisant remuer sa grosse barbe rousse.
- Votre tante poursuit une chimère, vous devriez travailler à lui faire oublier ses rancœurs. Justice a été rendue par le duc Hugues, le coupable de cet horrible meurtre croupit actuellement à la Geolière et croyez moi, c'est là la peine la plus sévère qui puisse être. De plus, la mer n'est pas l'élément d'un chevalier, on ne combat pas sur le plancher tumultueux d'un bateau, laissez donc ce pirate là où il est. Vous apprendrez qu'il ne faut jamais écouter les femmes, leur cœur est trop versatile et leur esprit toujours trop prompte à obéir à leurs émotions, elles ne peuvent qu'être de mauvais conseils. C'est bien pour cela qu'on les écarte des gouvernements. Cela ne tiendrait qu'à moi, j'obligerais votre tante à trouver à nouvel époux. Il n'est jamais bon de laisser une femme libre trop longtemps, elle se met alors à réfléchir et à causer des ennuies.

Fernand moucha Hugon de Lanta. Voilà que son protégé lui donnait des leçons de chevalerie.
Le Dogue Rouge ne pouvait que reconnaître que le duc n'avait pas été bon envers la maison de Montfay.
- Certes. Il est vrai que votre père est resté loyal au duc et que malgré ça il en a payé de sa vie. Mais rejoindre le comte serait comme prouver la duplicité d'Henri de Montfay, or il était innocent. Ce n'est pas en faisant cela que vous allez racheter l'honneur de votre maison.
Hugon rejoignit son seigneur sur le rebord de la fenêtre. A l'horizon, le soleil descendait pour bientôt disparaître, la pénombre ne tardant pas à envelopper Belfort d'un drap sombre. Sur la grande voie marchande, les commençants commençaient à refermer boutique et les derniers clients à rentrer chez eux.
- Il reste que poursuivre ce pirate est une folie. Le véritable coupable du meurtre est Tanguy de la Tour d'Arcy, et il doit être déjà mort à l'heure qu'il est, son âme en enfer. Le pirate n'était qu'une arme. Est ce votre épée la coupable si vous faite couler le sang ? Ce n'est pas elle qu'on va pendre. Le pirate n'était qu'un mercenaire, un outil au service d'un autre et l'autre a été puni. L'honneur de votre tante est sauf. On ne fait pas un "fabuleux fait d'arme" en abattant un mercenaire, cela n'a rien de noble.
Le Dogue Rouge soupira.
- Voilà une dangereuse promesse que vous avez fait. Quoi que vous décidiez, mon épée restera la votre.

- Si vous vous ralliez au comte, assurément que votre tante se ralliera au duc. Mais je ne suis pas certain que son époux ait les mêmes entrées à la cour ducale avec sire Eudes qu'à l'époque de son père.


Le soir venu, lorsque le soleil s'était retiré loin à l'horizon pour plonger la ville dans l'obscurité, on donna un repas dans le château des comtes de Belfort. Il ne se tenait pas cette fois dans la grande salle mais dans une plus restreinte, avec une longue table en son centre devant une cheminée monumentale dont les braises irradiaient de chaleur dans toute la pièce. Au dessus, on avait accroché l'étendard de la maison de Montfay et celui de Cinqfoy, le deux entourant les fleurs de lys dorées du duc de Cahogne, car on était là dans son château même si l'évêque de Belfort l'occupait à plein temps. Dans un coin, une joueuse de harpe passait ses mains gracieuses sur les cordes de son instrument, délivrant une douce musique.
Tallandier occupait le bout de la table, assis sur une grande cathèdre finement sculptée, le reste de ses hôtes sur un banc d'un côté, l'autre laissé libre pour les valets qui venaient déposer les plats. A la gauche de l'évêque, sa sœur Hélène, suivit de son fils Jean, de Fernand, de Louis de Cindfoy et de son épouse, Daphnée de la Roche-Bouillon, puis d'Hugon de Lanta et d'autres aristocrates importants de la cité que Fernand avait entrevu sans pouvoir mettre un nom sur leur visage.
Alors que les serviteurs apportaient les plateaux de fromages, de tourtes et de fruits, pendant que d'autres remplissaient les verres de vin, Cinqfoy se pencha vers Fernand.
- Sire, avez vous réfléchit à notre discussion ? Sachez que j'ai envoyé l'un de mes hommes se renseigner sur ce pirate qui vous a causé des ennuis.
Impossible de savoir si c'était vrai ou si c'était seulement de l’esbroufe pour faire plaisir à Fernand.

- Formidable, répondit Cinqfoy avec un large sourire. Trinquons à notre entente sire Fernand. Ne vous en faite pas pour ceux qui feront l'erreur de prendre le parti de votre tante, mon soutien vous assure celui des plus puissants princes de Cahogne. Dès que j'aurai plus d'information sur notre pirate, je vous en ferai part.
Louis de Cinqfoy leva son verre de vin alors que les valets apportaient sur un plateau d'argent le sanglier tué par Fernand. La cuisson l'avait un peu réduit et coloré sa peau d'un brun sombre et brillant, si ce n'était pas là la plus grosse bête qu'on avait pu chasser dans la forêt de Loire, il allait être bien suffisant pour nourrir toute la tablée.
Hugon de Lanta se pencha en avant afin de passer une tête devant dame Daphnée, puis s'adressa à Cinqfoy.
- Dite moi monseigneur Louis, je vous vois festoyer parmi nous, mais comment se fait-il que vous ne soyez pas à l'ost avec monsieur le duc de Cahogne ? Je croyais qu'il avait fait appel à ses vassaux pour mener la guerre au Vaujour.
Cinqfoy manqua de s'étouffer avec la gorgée de vin qu'il était en train de prendre, puis il balbutia un début de réponse.
- Et vous donc seigneur de Lanta, pourquoi n'y êtes vous pas ? répondit-il par une autre question en habile politicien.
- Hélas, j'aurais aimé participé à la guerre, mais ma maison n'a pas encore officiellement de seigneur pour nous mener, et je crois savoir que le duc nous a relevé de notre service en échange de quelques faveurs. J'en conclu que vous avez payé l'écuage ?
- Oui oui, c'est ça, nous avons payé monseigneur, répondit nonchalamment Cinqfoy, visiblement embarrassé par les questions du Dogue Rouge.  
- Mais pourquoi donc ? Avez vous une tare qui vous empêche de vous battre ? Ou bien est-ce votre vaillance qui vous fait défaut. J'ose espérer que ce ne sont pas vos doutes concernant monseigneur Eudes, il est notre suzerain et nous devons le servir. Hugon de Lanta faisait là référence à demi mot au soutien de Louis de Cinqfoy au camp rebelle lors de la guerre civile.
- Sire Fernand, dit Cinqfoy entre ses dents, pourriez vous faire taire votre vassal, il me semble qu'il ait trop abusé de la boisson.

Cinqfoy sourit, satisfait de l'intervention de Fernand.
- Monseigneur, se permit de continuer Hugon de Lanta, je puis vous assurer que non, nous ne servons pas à la guerre comme nous le voulons. La chevalerie nous engage à respecter un droit précis et chaque homme détenant un fief du duc de Cahogne se doit répondre à son appel et de le servir au moins quarante jours.
- Sire Hugon, vous qui êtes tellement emprunt du droit féodal, vous en conviendrez que si votre suzerain vous dit de vous taire alors vous le faite, non ? dit sèchement Cinqfoy.
Le Dogue Rouge se renfonça dans son siège, préférant se taire plutôt que d'en rajouter. Il pouvait peut être rivaliser à l'épée contre Louis de Cinqfoy, mais pas en honneur. Lui n'était qu'un petit chevalier-banneret, l'autre un puissant baron du pays.
- Messieurs, intervint Tallandier au bout de la table, comme l'a dit mon neveu, pas de politique à table je vous prie, s'il y a bien un moment où j'aimerai en être épargné c'est bien à l'heure du repas. Ne parlons pas de cette triste guerre, elle a déjà bien trop coûté à la Cahogne. Sire Louis, vous m'avez dit vous être arrêté à Soulans avant de prendre la route de Belfort, comment va la vie dans notre belle capitale ?
Louis de Cinqfoy enchaîna sur son séjour à Soulans, trop content de changer de sujet, rapportant les dernières nouvelles, que Eudes, parti à la guerre, y avait nommé le sire de Saint-Saëns pour gérer les affaires courantes et que Jacques Delphin, le prévôt de la ville, avait été admis au conseil, ce qui faisait grincer quelques dents parmi la noblesse. On racontait que ce Eudes n'était pas du genre à se laisser faire et qu'à peine quelques mois après son retour de croisade il s'était imposé. Il était assurément d'une toute autre qualité que son père et prédécesseur.
Le repas se termina et Fernand rejoignit sa chambre.
Le lendemain, Louis de Cinqfoy quitta Belfort avec les siens, promettant à Fernand de faire son possible pour retrouver la trace du pirate qu'il recherchait.


Lorsque Hélène de Guizet apprit que son neveu n'avait jamais vu la mer, elle se décida à l'emmener sur la côte de l'Escuagne pour la lui montrer.
La maison de Guizet, descendante du mythique Jacques le Navigateur, était une famille entièrement tournée vers la mer, possédant de larges seigneuries sur les côtes du Pays-Plat.
De Belfort, ils suivirent les rives de la Vesvres pour descendre vers la côte et rejoindre la région de la Hague qui était la propriété des Guizet.
Hélène était accompagnée de quelques soldats de sa garde, ainsi que de son fils Jean qui chevauchait à ses côtés sans jamais la quitter de plus d'un mètre. Fernand était suivi de son fidèle parrain Hugon de Lanta, de son jeune page Aymeric et d'une dizaine de ses compagnons.
Le voyage dura quatre heures où Fernand découvrit un tout autre pays. Enfant des Landes, il avait grandit dans le Sud de la Cahogne, dans un univers de forêt, de collines et de vignes. Là il découvrait le monde humide des côtes maritimes. Le temps était tout changé et l'air chargé d'odeurs qu'il ne connaissait pas.
A midi, la côte fut en vue et bientôt s'allongea devant Fernand une large étendu d'eau qui semblait infinie. Le soleil à son zénith faisait dorer des reflets sur la mer scintillante où l'on pouvait observer, au large, les escarpements rocheux de l'île des Dames, du Bagne et des îles Morcelés, entre lesquelles sillonnaient en suivant prudemment le chenal balisé de grandes nefs marchandes rejoignant certainement le port de Vaucouleur plus à l'Ouest. De gros oiseaux, que Fernand n'avait jamais vu, blancs et larges d'ailes, volaient au dessus de leurs têtes en poussant d'horrible cris stridents. L'un d'eux plongea soudainement dans la mer avant de remonter avec un poisson dans son bec.
- Alors ? Qu'en penses tu Fernand ? N'est ce pas là un spectacle magnifique ? Lui demanda Hélène.
Elle souriait, mais son regard trahissait sa tristesse. En vérité, c'était non loin d'ici que son époux, Jean IV de Guizet, avait été sauvagement assassiné. Une stèle recouverte de fleurs commémorait la tragédie.
Hugon de Lanta, qui avait déjà vu la mer mais, vivant à l'intérieur des terres, avait peu eu l'occasion de la revoir, était toujours subjugué par cette grande étendue d'eau. Comment cela était-ce possible ? Devant un tel spectacle, il était évident que la Tricéphale existait.
Son imagination martiale aimait à se représenter les hordes vikings débarquer sur ces plages. Il aurait aimé vivre à cette époque et jouer de son épée contre l'envahisseur pour défendre la Cahogne.
« Si j'avais été là, les Norges n'auraient jamais pu débarquer et voler cette terre. Les Platois ne se seraient pas compromis de leur sang et aujourd'hui ils seraient de bons cahons comme nous, les Landais. » pensa t-il.
A mesure qu'ils avançaient sur le sentier côtier, apparut au loin à l'horizon une étrange colonne de fumée noire. Rapidement, ils croisèrent la route d'une suite de gens décharnés, d'hommes, de femmes et d'enfants qui étaient comme des cadavres ambulants, marchant sans but en portant avec eux quelques maigres biens. Certains étaient blessés, le visage recouvert sommairement de bandes ensanglantées, le bras en écharpe ou marchant avec une béquille de fortune.
- Que s'est-il passé ? D'où venez vous ? Demanda Hugon de Lanta à un homme maigre et crasseux qui avait un œil blessé caché sous un bandage.
Celui-ci lui répondit dans sa langue, un dialecte bas-cahon propre à la région, mais trop rapidement, précipité par la panique, pour que le Dogue Rouge et Fernand n'en comprennent un mot, eux qui ne parlaient que le landique. Même Hélène, maîtresse de ce pays qui en avait apprit la langue pour mieux l'administrer, ne comprenait pas ce qu'il disait.
- Nous avons été attaqué, dit une autre voix à l'accent différent mais à peu près compréhensible.
Celui qui avait parlé avait la peau cuivrée, des yeux d'un bleu très clair et la tête à moitié enturbannée, les bandes mal agencées laissant dépasser plusieurs mèches noires et bouclés. C'était un derzi. Il portait dans ses bras une jeune fille endormie d'à peine cinq ans.
- Des maurannais, continua t-il, ils ont pillé le village, massacré tout le monde et mit le feu à nos maisons.
Par "maurannais", il fallait comprendre des routiers. Les bandes de mercenaires étaient souvent originaires des Maurannes, si bien qu'on désignait par "maurannais" tous ceux qui monnayaient leurs armes.
- Crapules ! Cracha Hugon de Lanta. Comme tout bon chevalier, il avait en horreur les routiers, des tueurs sans aucun honneur, faisant la guerre pour le sang et le butin et non pour la gloire et la bravoure. Quel est ce village ?
- Neauphes-sous-Vesvres mon bon seigneur chevalier, lui répondit le Derzi.
- Ce peut-il que ces maurannais qui pillent mes villages soient au ordre de mes ennemis ? demanda Hélène en faisant référence à la maison de la Tour d'Arcy, rival des Guizet, ceux là même qui avaient fait assassiner son époux.
- Peu probable, lui répondit Hugon de Lanta, sire Tanguy est en prison, je le voix mal stipendier des affreux pour vous faire du mal. Je pense que ces gens doivent être sans emplois, désœuvrés et poussés à piller de pauvres villages pour vivre.
Le Dogue Rouge cracha par terre.
- Il faut les châtier ! Dame Hélène, si vous voulez bien nous déléguer votre justice, nous allons régler cette affaire pour vous ! Fernand, qu'en dis tu ?