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Armarius
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MessageSujet: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeDim 12 Jan - 15:44
Dialogue cloîtré

Le voyage vers Vendaume avait été sans embûche. Trois jours à parcourir la Cahogne sous un grand soleil qui rappelait à Eudes ses longs cheminement sur les routes de la Ponantique. Mais ici le paysage était tout autre. Vendaume était construite dans la vallée de la Mense, au cœur du massif des Aiguilles. La route sinuait au milieu d'une forêt de sapins avant de déboucher sur la ville de l'archevêque, la capitale religieuse des Franches Orientales.
Eudes était escorté de sa seule garde huscarle. C'était une visite d'ordre privé et aucun des conseillers ducaux ne l'avait accompagné.

Vendaume, qu'on surnommée la "ville blanche", était polarisée autour du palais de l'archevêque. C'était un vaste complexe ecclésiastique, à la fois résidence et forteresse, et l'une des plus grande construction des Franges Orientales qui illustrait la maturité du style cahon détaché du style Valentin.
Le palais était composé de deux bâtiments : le palais vieux, datant du Xème siècle, et le palais neuf d'origine plus récente. Il concentrait en lui toute l'administration de l'archevêché, avec ses grandes salles d'audience, ses quartiers pour les chanoines, la salle du consistoire où se réunissait les évêques suffragants, la salle du synode archidiocésain... C'était aussi un important pôle culturel cristallisant autour de sa grande bibliothèque les clercs les plus savants de la région, mais aussi des artistes, des peintres, des sculpteurs, des chantres et des musiciens.
La cathédrale de la ville surpassait en taille et en beauté celle de Soulans, et l'abbatial du prieuré Cramoisi l'égalait presque tout autant. Mais ce qui était incomparable au reste, c'était le tombeau de saint Sabin, premier primat des Franges Orientales et l'une des grandes figures religieuses de la Cahogne.

Malgré le caractère privé de la rencontre, Adrien IX voulut recevoir Eudes dans la cour d'honneur du palais neuf avec un grand cérémonial. C'était le retour d'un prince croisé et l'archevêque voulait l'honorer. Au bout du chemin, cerné de chaque côté par une colonne de garde maurannais, des guerriers montagnards assurant la sécurité du primat et qui rivalisaient avec les huscarls du duc, l'archevêque et ses chanoines attendaient.
Dialogue cloîtré Rvcg

Le primat des Landes était un vieil homme de 71 ans. Il était petit et courbé, mais son costume rehaussait son apparence de vieillard. Canes modéré, il portait une simple chape avec une mitre doré. Les costumes que portait Espien de Raysac à Soulans étaient nettement plus riches.
Solennellement, Adrien accueilli Eudes et le béni comme voulait la tradition. Puis rapidement, il invita Eudes à marcher avec lui dans le cloître du palais, afin de discuter en privé.
Il faisait beau et les oiseaux chantaient, c'était l'occasion de mener cette rencontre à l'extérieur. Le grand cloître du palais neuf ressemblait plus à un magnifique jardin, avec ses pelouses séparées par des chemins dallés et son lavabo, qui avait l'apparence d'une riche fontaine, au centre. Le lieu était calme, le même genre d'atmosphère qu'on retrouvait au Sanctuaire de Soulans, un endroit idéal pour échanger quelques mots. Soutenu par une canne, le primat avança lentement jusqu'à un banc de pierre puis invita Eudes à s'asseoir à côté de lui. il avait congédié ses chanoines pour se retrouver seul à seul avec le duc, et Eudes en avait fait de même avec sa garde.

« Quel plaisir de te rencontrer Eudes, commença l'archevêque, j'ai grande hâte d'entendre tes exploits en Ponantique contre les infidèles, la seule guerre qui vaille la peine d'être menée.
J'ai beaucoup entendu parlé de toi et j'ai suivi avec intérêt ton expédition. Quitter ton pays natal pendant 5 ans pour servir Dieu est un geste qui t'honore. »


Adrien IX était en poste depuis maintenant 14 ans. Dans son enfance, Eudes l'avait déjà rencontré une ou deux fois, lorsqu'il accompagnait son père Hugues III. Mais jamais le futur duc de Cahogne n'avait pu discuter avec lui et les deux hommes ne se connaissaient guère.

« Mais je connais l'objet de ta visite mon fils. Tu es revenu du Ponant afin d'obtenir ton héritage. Et pour que tu sois duc il te faut être sacré. Tu es venu pour savoir si j'acceptais de te oindre et de poser la couronne sur ta tête. »

Sous la grosse barbe blanche de l'archevêque se dessina un large sourire.
D'Adrien IX émanait une chaleur paternelle, comme un aimable et aimant grand-père qui avait devant lui son fils bien aimé. Puis ses yeux se mirent à fixer le sol et un air triste s'empara de son visage.

« Ma génération est bientôt éteinte Eudes, et ce sera à vous, la jeunesse, de faire face aux problèmes qui menacent la sainte Eglise. »

Il soupira, puis le sourire lui revint comme s'il venait de se souvenir d'un moment agréable.

« J'ai bien connu ton père tu sais. Hugues était le meilleur chevalier de l'Empire et un tacticien hors de pair, mais c'était aussi un ami. J'ai été attristé d'apprendre sa mort, même si les événements nous avaient quelque peu éloigné l'un de l'autre. Je n'étais pas vraiment d'accord avec sa politique qui épuisait les forces vives des triaphysites, ses guerres à tout va, la colonisation du pays dremmen qui empêcha le bon déroulement des prédications pour les convertir en nous faisant passer pour des conquérants... Heureusement que ses fils su s'en éloigner pour participer à la vraie guerre. »

L'archevêque posa une main sur l'avant bras du duc et lui fit un grand sourire.

« Je suis persuadé que tu suivras un meilleur chemin. De vraies guerres, il y en a à mener ici aussi. La situation dans le Porez m'inquiète, avec ces rumeurs nous rapportant la présence de schismatiques... Ils risquent de déstabiliser un peu plus la région...
Je sais ce qui t'oppose à Thomas d'Estaing, la rivalité autour du comté de Porez, mais j'espère que tu trouveras la force d'en faire un allié pour défendre le Dogme de la sainte Eglise face aux hérétiques. J'aimerai que vous puissiez régler vos différents sans passer par la guerre, les Franges Orientales ont besoin de paix et d'ordre, et les deux grands seigneurs du pays doivent s'allier pour garantir le bien des populations et de l'Eglise. Et pour chasser les hérétiques, vous allez devoir vous unir et non vous diviser. »


Un oisillon innocent vint se poser sur les bords de pierre du lavabo. Il était d'un bleu vif et se mit à siffloter. L'archevêque le pointa du doigt.

« Regarde Eudes, une galerine azurée, n'est-il pas magnifique ? Une belle créature de Dieu. Peut être ne va t-il pas à l'Eglise tous les dimanches, mais il mérite quand même d'être protégé, car c'est aussi un enfant du Tricéphal. »

L'oisillon finit par s'envoler.

« Je connais aussi tes différents avec le roi d'Estovie. Dragomir est lui aussi un bon croyant, tout comme l'était son père. Mais je m'inquiète de la perte de vitesse des prédications. Si le roi est converti avec une bonne partie de sa noblesse, le menu peuple reste dans le paganisme, hors c'est eux qu'il faut sauver en priorité. Les querelles t'opposant à Dragomir empêche la bonne diffusion du Dogme. Ce n'est pas à moi de te dire quelle politique menée, le pouvoir spirituel n'interfère pas dans le temporel, mais tu devrais envisager de lui restituer la Transgarde, une terre qui lui revient, et ceux pour le bien de la paix. »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeDim 12 Jan - 16:43
Vendaume est véritablement la gloire des Franges. Tout l’endroit est imbibé de piété, Dieu lui-même la fait scintiller – bien sûr, on me montre les beaux endroits, avec le cérémonial et le decorum, et je suis sûr que comme toutes les villes du monde Vendaume a ses coins sombres, où se répand la décadence et la corruption. Mais enfin, le parcours à travers lequel on m’a guidé a eu son effet sur moi. Moi qui ne suit pas foncièrement un bon triaphysiste, je me suis retrouvé écrasé par la dévotion qui imprégnait les édifices, et jamais une bénédiction ecclésiastique n’avait eu un tel effet sur moi.

Nous ne sommes pas en train de faire des intrigues de basse cour. Nous ne négocions pas dans le noir d’une antichambre ou le secret d’un bureau. Dieu projette le feu de son soleil sur nous, alors que nous sommes bercés par les bruits d’oiseaux et la fontaine.

« C’est un endroit charmant, Votre Excellence. J’aime le bruit blanc de l’eau. »

Il m’appelle par mon prénom. Nous ne sommes pourtant pas familiers. Je n’ose pas lui répondre avec la même franchise – cela doit être son âge vénérable, qui fait qu’il se permet de m’appeler « Eudes », comme un enfant à aimer et gronder. Mais je ne suis pas un enfant. Je suis Duc de Cahogne, et Prince d’Empire. Lui faire remarquer serait désagréable, mais j’ose espérer lui prouver, par mon discours, que je ne suis pas apte à être ainsi traité.
Surtout vu ce qu’il me demande. L’archevêque parvient à me contrarier, malgré tout le respect que j’ai pour lui. C’est un homme bon, libéral, protecteur : Le monde se porterait mieux si tous les prêtres étaient comme lui.

« Votre Excellence, je hais la guerre. Je sais la mener, en bon chevalier, mais je l’exècre. La guerre, c’est les orphelins, ce sont les veuves, c’est le pillage et la haine, bien loin des desseins divins.
Je ne souhaite pas la guerre avec Thomas d’Estaing. Mais c’est lui qui contrevient au bon droit en osant réclamer une terre apanagiste qui me revient par le droit.
Quant à Dragomir… Vous avez raison. Le spirituel n’a pas à interférer avec le temporel. En quoi la Transgarde empêche-t-elle les diffusions de la vraie religion en Estovie ? N’est-ce pas plutôt le manque de volonté du Roi qui gêne les prédications ? »


Semi-accusation. Comme si moi, d’Estaing, et Dragomir étaient des enfants turbulents et chamailleurs face au père spirituel que représente Adrien IX.

« La Cahogne a saigné pour la Transgarde. La remettre serait un aveu de faiblesse gravissime. Mon peuple ne le comprendrait pas.
Si Dragomir souhaite la Transgarde, qu’il me fasse un prix honorable. »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeDim 12 Jan - 17:01
« Je ne suis pas très au fait avec les lois féodales, tu m'excuseras. Ce que je vois c'est une chamaillerie pour la possession du Porez, une division là même où il devrait y avoir union pour lutter contre l'hérésie.
Je ne dis pas que Thomas est dans son bon droit, je te dis seulement de faire un pas vers lui pour assurer la paix, de ne pas te battre contre lui les armes à la main. Je dirai de même à Thomas. Je pourrais vous servir de médiateur, d'arbitre si vous le désirez, ma seule est unique préoccupation c'est la paix dans les Franges. »


L'archevêque leva son visage vers le soleil pour en recevoir sa chaleur. Il ferma les yeux et sourit. Il semblait profiter de chaque instant, comme s'il savait qu'il n'en avait plus pour longtemps.

« Dragomir est sur ses gardes parce que nous l'attaquons sur ses terres. Ils voient les triaphysites cahons non comme des alliés mais comme des envahisseurs, ce qui pourrait le détourner de la bonne religion, surtout que pour assurer ses droits dans son royaume il doit mobiliser sa noblesse, une noblesse restée en partie païenne. Il doit donc faire des concessions aux païens pour obtenir leur aide.
S'il n'y avait pas le problème de la Transgarde, tu pourrais aisément t'allier à lui et l'aider à diffuser la vraie religion. Je sais bien que les cahons se sont battus pour ces terres, mais elles ne leur appartiennent pas.
A l'origine il n'était pas question d'une colonisation, c'est une idée de ton grand-père. A la base, les soldats cahons ne devaient que soutenir militairement les prédicateurs qui étaient agressés par les païens. Au lieu de cela, les cahons ont fait souche, ont commencé à chasser les autochtones et à bâtir des villes sous l'autorité du duc. Ce n'était pas ce qui était prévu et il est normal que le roi réclame la suzeraineté sur la région. Lui rendre la Transgarde serait une solution facile, peut être en existe t-elle d'autre, pourvue qu'elles soient pacifiques. »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeDim 12 Jan - 17:15
Alors que l'archevêque regarde le Soleil, moi, c'est lui que j'observe, directement. Sourcils froncés. Regard mauvais.

« Je comptais déjà arbitrer la succession du Porez, votre Excellence. En privé, grâce aux liens familiaux qui me lient à son épouse. Ma sœur doit rencontrer ma cousine et déboucher sur une solution.
Si vous souhaitez organiser une réunion entre moi et Thomas d'Estaing, en terrain neutre, je l'accepterais avec plaisir. À condition que nous ayons quelque chose à nous dire. Le Porez me revient de droit. C'est à lui de faire des concessions, pas à moi. »


Quant à la question de la Transgarde, elle m'enrage encore plus. Mon sang Platois bout. Ma hargne Cahonne aussi.

« Mes ancêtres se sont battus pour ces terres. Ils ont versé du sang - du bon sang Triaphysiste. Ils ont récupéré ces terres car elles étaient peuplées de païens qui représentaient une insulte envers Dieu. En quoi serions-nous légitimes pour nous battre contre des peuples dans la Ponantique, mais pas ici, juste devant chez nous ?
Par respect envers vous, je veux bien négocier avec Dragomir. Je veux bien parvenir à trouver un terrain d'entente. Mais là aussi, il faudra que ce soit un marché honorable. Il est hors de question que j'évacue la Transgarde juste pour de vieilles prétentions historiques. C'est devenu notre chez-nous. Des familles s'y sont installées. Elles ne comprendraient pas de devoir être forcées de partir et d'aller ailleurs alors qu'elles ont toujours bien prié et bien combattu pour moi. »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 6:41
« Il y a une grosse différence entre la Ponantique et l'Estovie. La Ponantique est une terre triaphysite, elle appartenait à l'Ancien Empire et fait donc de jure partie de l'Empire.
Elle a été envahie par les infidèles, qui ont converti les populations à leur fausse religion. Nous n'attaquons pas, nous nous défendons. L'Estovie est dans une autre situation, les dremmens y sont chez eux et l'Empire n'a jamais pénétré les territoires au delà de la Garde. En colonisant la Transgarde, c'est nous les envahisseurs. »


Adrien marqua une pause, comme s'il considérait les paroles du duc, avant de reprendre.

« Mais tu as raison, il y a aussi un état de fait, les cahons sont désormais présents en Transgarde et il faut l'accepter. Mais si Dragomir revendique la région, il est dans son bon droit, tout comme tu l'es à réclamer le Porez à Thomas d'Estaing, comprends tu ? Si tu prends les terres de Dragomir en suivant le droit de conquête, tu dois accepter que Thomas t'en prennes de l'autre côté sur la base du même droit non ?
Si jamais tu décides de restituer la Transgarde à Dragomir, je veillerai personnellement aux intérêts des cahons sous son autorité, qu'ils ne soient lésés d'aucune façon. Je suis le primat des Franges Orientales mais aussi le métropolite des Dremmens, j'ai autorité sur les deux peuples. »


A nouveau, l'archevêque afficha une mine mélancolique tout en adressant un Eudes un sourire plein d'espoir.

« Je te l'ai dit Eudes, ma génération s'éteint peu à peu et la tienne prendra le relais. Ne vis pas dans l'ancien monde, voit le avec ton œil nouveau de jeune homme. Les dremmens et les cahons sont désormais deux peuples de bons croyants et ils doivent apprendre à vivre ensemble comme l'ont apprit les peuples de l'Empire. Te sens tu si différents d'un Gallanc ou d'un Calave ? Bientôt tu ressentiras cette fraternité pour tes voisins à l'Est aussi. Et si un jour tu retournes en croisade en outremer, tu auras certainement à tes côtés des chevaliers dremmens, et ils se battrons avec autant d'ardeur contre les infidèles que n'importe quel autre croyant triaphysite. La Transgarde annonce le futur, une terre habitée à la fois par des cahons et des dremmens, unis par la même foi et la sainte Eglise. Peu importe que ce soit sous l'autorité du duc de Cahogne ou du Roi d'Estovie, pourvu que la paix règne entre eux. »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 13:05
Je marque une petite pause. Je considère les sages paroles de l’archevêque, un homme bon, lettré, aspirant à la paix. J’y réfléchis un instant. Et je lui répond, avec toute ma candeur et mon honnêteté :

« Non. »

Je n’ai pas d’autres mots à lui dire. Cela doit avoir de quoi le surprendre. Je me lève du banc. Je place une main dans mon dos. Je prend une majesté en levant mon manteau. De quel droit ose-t-il me tutoyer ? M’appeler par mon prénom ? Je ne suis plus un garçon. Je ne suis pas une simple ouaille venu chercher sa bénédiction. Je suis quelque chose de bien plus que cela.

« Je suis le Duc de Cahogne. Dieu m’a chargé de défendre et de protéger les Cahons. Ils souffrent. Ils subissent des pillages et des massacres de la part de résistants païens. Ils clouent aux arbres mes Cahons, qui se tournent vers moi lorsqu’ils ont besoin de quelqu’un pour les protéger contre l’injustice, l’arbitraire, et la violence.
Pourquoi irais-je dégainer mon épée pour tuer des femmes et des enfants au-delà de la mer, comme j’ai vu les pieux croyants triaphysistes le faire au nom de Dieu, pour ignorer les mêmes crimes que commettent des infidèles juste devant chez moi ?

Ce n’est pas à Dragomir d’exiger quoi que ce soit, encore plus pour épargner les sensibilités d’une noblesse qui refuse d’implorer la pitié du Tricéphale. Je sais que les résistants Dremmens qui font du mal à mon peuple se cachent en Estovie. Si Dragomir souhaite être mon ami, qu’il m’aide à se débarrasser des païens. Là, je pourrai prétendre qu’il est mon égal. Qu’il est mon frère en Dieu. En attendant, je ne vois rien de plus qu’un monarque dangereux qui souhaite un gain territorial dans son propre intérêt égoïste. »


Je m’éloigne vers la fontaine, me détournant du regard de l’archevêque.

« Votre titre de Métropolite des Dremmens doit bien faire rigoler quantité d’Estoviens. Vous croyez qu’il résonne beaucoup, dans leurs steppes ? Ce n’est pas à moi de faire le premier pas. C’est à eux de me témoigner leur respect.
Qu’on m’envoie les têtes des responsables de la Strelka. En attendant, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour défendre la Transgarde. Je suis certain que les Portes-Croix pensent comme moi. N’est-ce pas eux qui ont hérité de la plus grosse part du territoire après les donations de mon père ? Devraient-ils déménager, eux aussi, et quitter leurs commanderies, si je décidais de céder ce territoire à Dragomir ? »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 14:28
Malgré l'énervement de Eudes, qui se leva et prit une pose plein d'orgueil pour faire valoir sa haute noblesse, l'archevêque resta calme, assis sur son banc, à lui sourire.

« Eudes... tu peux protéger la Transgarde et ton peuple autrement que par la violence.
Si tu te mets à massacrer les dremmens, ils massacreront en retour et ça n'en finira jamais. Comment espères tu les convertir en ne leur montrant que haine et brutalité ? La miséricorde doit toujours tempérer la vindicte. Le Tricéphal est un Dieu de paix et d'amour, suis son exemple et montre à tes ennemis les vertus de notre religion malgré le mal qu'ils peuvent te faire. »


Adrien se leva difficilement de son banc. Il se mit à ricaner dans sa barbe.

« Je n'en attendais moins du fils de Hugues III de Cahogne. Tu es bien comme ton père, à croire qu'on peut arranger les problèmes par la guerre. J'ai été naïf de penser que tu pouvais être différent.
Suis-moi. »


L'archevêque et le duc de Cahogne quittèrent le cloître du palais neuf et longèrent un couloir. Sur les parois étaient tendues des broderies contant l'histoire religieuse de la Cahogne : l'arrivée de saint Adrien débarquant de la mer qui porte son nom sur les côtes du Pays-Plat pour y convertir les Mördwyms, puis la fondation de l'archevêché par saint Sabin et sa prédication pour convertir les cahons, jusqu'à la conversion des Dremmens par le prédécesseur d'Adrien IX. Il y avait là et là quelques chanoines qui discutaient. Quand l'archevêque passa devant eux ils le saluèrent avec beaucoup de respect.
Le couloir déboucha sur un jardin, puis ils arrivèrent devant le tombeau de saint Sabin avant d'y entrer.
Le tombeau était construit sur un plan circulaire avec au centre un immense sarcophage de marbre blanc surmonté d'un gisant d'or représentant le saint archevêque les mains jointes et le visage tranquille. Tout autour, des piliers supportaient une large coupole. L'endroit était sombre, seulement éclairé par des bougies et de fins traits de lumières arrivant de quelques ouvertures en hauteur.
Adrien soupira en regardant la sépulture de son lointain prédécesseur, puis il brisa le silence religieux qu'imposait un tel endroit pour s'adresser à Eudes sans quitter le tombeau des yeux.

« Est ce que tu connais l'histoire magnifique de saint Sabin le sage ?
Il fut le premier archevêque des Franges Orientales, envoyé par Godfred le Grand pour y convertir les cahons qui restaient encore païens pour la plupart, ou bien adeptes d'une forme hérétique du triaphysisme.
Sabin commença sa prédication avec ses fidèles. Il fut très mal reçu, on alla jusqu'à le violenter. Mais il ne répondit pas par la violence, car il savait que la violence engendrait la violence. Il choisi plutôt de montrer l'exemple en suivant les préceptes du Tricéphal. Plutôt que de brandir les foudres de l'autorité dans un beau costume de prélat, il parti sur les chemins, pieds nus mais le cœur ardent, mendiant son pain et dormant à la belle étoile. Il offrit l'image de la simplicité et de la bonté, usant d'humilité et de charité. Il entreprit de discuter avec les païens et les hérétiques dans des débats publics qui se terminaient souvent par des conversions collectives, démontrant ainsi que la parole est souvent une arme bien plus efficace pour servir la vérité que les armes de fer et les armures. Il fallait simplement montrer aux cahons qu'ils étaient dans l'erreur.
Sabin fût celui qui eut l'idée de sacrer Guillaume, le premier duc de Cahogne nommé par Godfred, car il savait que son pouvoir spirituel devait être soutenu par un pouvoir temporel fort. »


Adrien détacha son regard de la tombe pour fixer Eudes.

« Nous sommes les descendants de ces deux hommes, Sabin et Guillaume. Je suis l'exemple de l'archevêque, suis celui du duc car leur méthode a fonctionné. Si les cahons professent aujourd'hui la vraie religion, c'est parce qu'à l'époque ils ont trouvé des gens qui on su leur montrer la miséricorde plutôt que la violence. Nous devons faire de même pour les dremmens et demain ils seront eux aussi de vrais croyants. Mais mon pouvoir spirituel seul ne peux rien sans le pouvoir temporel que tu détiens. »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 14:54
Comment ne pas trembler devant la majesté et la piété du tombeau de Saint Sabin ? Je ressens un picotement le long de mon échine, alors que ma lange s'assèche, et que je me signe devant la sépulture. Elle n'était pas d'une beauté époustouflante : Sabin ne se reposait pas au soleil, dans un décor rococo scintillant d'or et serti de bijoux. Mais l'humilité du lieu ne fait que, ironiquement, renforcer encore plus le sentiment de bonté et de religiosité qui émane des murs, de la vieille pierre, de cet endroit que les moines foulent chaque jour pour offrir leur dévotion à Dieu.

Oui, l'archevêque est parvenu à m'impressionner. Il parle de l'exemple de Sabin. Me voilà devenu plus calme. Plus proche de la figure de l'agneau de Dieu.
Moins hostile. Mais méfiant tout de même.

C'est avec une toute petite voix, quasiment chuchotée, que je lui répond.

« Je ne suis pas un clerc, Votre Excellence. Je ne suis pas un prêtre. J'ignore comment on converti un homme. Mais je sais que j'ai en horreur la guerre et la violence - je sais la mener, mais je ne l'aime pas. Même face aux infidèles dans la Ponantique, j'ai été outré et dégoûté des actes barbares que les Croisés pouvaient commettre lorsqu'ils mettaient au sac une ville.
Je ne souhaite pas la destruction des païens. Je ne souhaite pas les convertir par l'épée, brûler leurs forêts, ou les faire aimer Dieu par la haine. Cela n'a jamais été ma volonté, je le jure devant Dieu. »


Albert en est la preuve vivante, d'ailleurs. Je repense tendrement à mon fils, et à sa mère que j'ai arraché de flammes qui n'avaient rien du Feu Sacré.

« Mais comment expliquer ceci aux gens que l'on m'a fait jurer de protéger ? Quand un Cahon de la Transgarde voit des gens qu'il aime se faire lâchement capturer et lyncher, et qu'il vient m'implorer de le défendre, suis-je censé l'ignorer, lui parler d'amour ? Je suis un chevalier, Votre Excellence. J'ai juré de défendre les nécessiteux. Et je suis le premier chevalier de Cahogne. »

Petit soupir.

« Je veux bien discuter avec Dragomir. Avec votre médiation. Je souhaite qu'il devienne mon frère, sincèrement. Je veux bien faire le premier pas, s'il le faut - le traiter avec courtoisie, et avec l'amour que tout triaphysiste doit avoir envers son prochain.
Mais qu'il n'aille pas croire que mon amour est de la faiblesse. Nous Cahons avons le sang chaud. Et si nous aimons avec passion, chacun doit savoir que nous pouvons ardemment nous défendre. »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 15:40
Adrien fit un large sourire à Eudes. Il se tourna vers lui et lui prit les deux mains.

« Voilà qui me ravit mon fils. Mais j'espère que tu ne me dis pas ça par crainte que je refuse de te sacrer. Sache que quoi qu'il arrive je le ferais, car je refuse de déstabiliser le pays et refuser de te sacrer serait contraire à tous mes devoirs. »

Puis il relâcha les mains de Eudes et reprit un air sérieux.

« Je comprends la douleur d'un homme qui voit ses proches violentés, mais la réponse à cette douleur ne doit pas être la vengeance. Je sais que laisser un crime impuni t'es insupportable, mais parfois il est mieux de pardonner au voleur plutôt que de lui couper une main, car il lui en restera toujours une autre pour recommencer. On ne vole jamais par plaisir, seulement par nécessité : aime le voleur, apporte lui la bonté et la charité et il ne pourra pas voler ce que tu lui donnes. Je crois en cela Eudes, nous avons envahis les dremmens et ils se défendent. Si nous nous montrons bons avec eux, ils le deviendrons eux aussi en retour. Expliquer cela aux habitants de la Transgarde, c'est la mission des clercs. Il faut rappeler à ces gens que devant leur malheur, Dieu reste amour et que la miséricorde prévaut sur tout. Il faut montrer l'exemple aux païens et ne pas répondre à leur agression par la haine. Ta mission à toi est avant tout de protéger l'Eglise et ces prédicateurs. »

L'archevêque quitta le tombeau suivit par le duc de Cahogne. La vive lumière du soleil extérieur piqua les yeux habitués à la pénombre du mausolée. Puis Adrien raccompagna Eudes vers la cour d'honneur. L'entrevue était terminée.

« Avant que tu ne partes j'aimerai te parler d'un autre sujet si tu le veux bien.
J'ai suivi l'histoire de la succession de la baronnie d'Aigues. Elle semblait réglée, mais ton père a décidé de rejoindre Dieu avant la baronne. Il me vint donc une idée. Le frère de la baronne, Domice, est évêque d'Aigues. Il aurait dû être le successeur légitime, mais il refusa l'héritage en raison de sa condition de clerc. Mais pourquoi ne pas le convaincre d'accepter le titre de baron tout en gardant celui d'évêque ? Il pourrait ainsi créer une principauté ecclésiastique et devenir prince-évêque, puis transmettre à son successeur à l'évêché le titre de baron. Cela me semblerait une solution convenant à tout le monde, le pays se retrouverait renforcé avec une nouvelle principauté ecclésiastique et l'équilibre ne serait pas perturbé. Qu'en penses tu ? »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 16:08
Les paroles de l'archevêque sont pleines de bonté. Est-ce sa vieillesse qui le rend ainsi ? La crainte de savoir que bientôt, il rejoindra le Seigneur ? Peut-être qu'il souhaite être canonisé une fois qu'il aura trépassé. Ses vœux sont pieux. Son cœur est bon. Mais s'il est bel et bien parvenu à m'adoucir, je reste malgré tout méfiant. Je n'évacuerai pas la Transgarde sans des garanties en échange. Il faudra que je rencontre le Roi Dragomir.

Je me signe une dernière fois devant Sabin, et retourne donc au palais avec Adrien IX. Il me surprend alors par des considérations bien moins humaines et religieuses que tout à l'heure. Non, il me parle de la baronnie d'Aigues, vers laquelle je suis censé galoper dès que j'en aurai fini avec lui. Il semblerait que lui aussi souhaite s'emparer du viager de cette sale mégère. Je fronce les sourcils, mais n'ose pas rétorquer quoi que ce soit.

« Ce n'était pas dans mes plans, Votre Excellence. Je comptais convaincre la baronne d'Aigues de me reconnaître comme son héritier. Monseigneur Domice est un clerc, mélanger le spirituel et le temporel n'est jamais une bonne chose - c'est ainsi que nous nous retrouvons avec des évêques qui portent des armures, et qui agissent comme des baronnets en armes et en juge.
Si je devenais baron d'Aigues, vous n'auriez pas à vous inquiéter. Cela marche dans les deux sens. Je ne suis pas homme à empiéter sur le for de l'Église ou sur sa dîme. »


De quoi il se mêle, ce prêtre à mitre ?






Je suis remonté en selle au plus vite. Comme je l'ai dis lors de mon conseil, je souhaitais voyager léger. Pas de grosse escorte avec moi, pas de dizaines de servantes, de chariots pour tirer ma vaisselle et mon confort. Je retourne sur les routes au galop, accompagné de quelques pages pour dresser les tentes et transbahuter un peu de bouffe, et mes solides gardes housecarles qui me suivent partout.

Je profite du délice que c'est de revenir dans mon pays. De pouvoir me promener dans de grandes campagnes ouvertes sans craindre des assassins. Si j'avais le temps, j'aimerais bien repartir avec quelques-uns de mes anciens amis chevaliers, où nous pourrions chasser, nous promener dans la nature, aller courtiser des jeunes filles de bûcherons ou de forestiers qui vivent loin des villages, les embrasser sous des arbres et dormir à la belle étoile. C'était le beau temps de ma jeunesse, qui me rend nostalgique.

On est arrivés un peu plus tard près d'une maison forte, un de ces petits fortins qui m'appartient. L'endroit n'est franchement pas luxueux : Entouré d'une douve, de la pierre creusée par des entailles pour les arbalétriers permet de protéger une petite garnison censés surveiller la province, et servir d'étape pour une armée en marche. À mon arrivée, le pont-levis s'abaisse, et plusieurs hommes d'armes, des sergents roturiers mal vêtus, viennent dans la cour pour plier le dos devant moi.
Jean est arrivé avec quelques gardes et quelques chanoines. Je l'avais prévenu de voyager, comme moi, assez léger. Je descend de mon coursier, lui tapote l'encolure pour le féliciter de son endurance, tandis que mon page vient se saisir de la bride afin de le restaurer. Je pénètre dans le corps principal de la maison.

Mon oncle Jean s'y trouve. Il était en train de manger. J'arrive avec un grand sourire, et en riant si fort que l'écho de ma voix se fait entendre dans les murs.

« Jean ! Mon oncle Jean ! Cela faisait tellement longtemps !
Tu permets que je t'embrasse ? »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 17:39
La maison forte était un petit domaine très modeste que la maison de Cahogne avait acheté pour avoir une résidence près de la ville de l'archevêque, toujours utile lorsque l'on se rend en ambassade à Vendaume. A l'année, le manoir était gardé par des moines d'une abbaye voisine contre le droit d'exploiter la réserve à leur compte. En échange, lorsque le duc ou un membre de sa famille y venait, ils devaient préparer la maison.
Jean était arrivé la veille. Le trajet depuis Villiers, le siège de son diocèse, ne durait qu'un peu plus d'une journée, mais Jean n'aimait pas voyager. C'était un casanier qui aimait le petit confort de son palais épiscopal, et l'archevêque ne cessait de lui demander de visiter un peu plus souvent les prêtres de son diocèse. Mais la possibilité de revoir son cher neveu l'avait motivé à se déplacer.
Lorsque Eudes arriva enfin de Vendaume, l'évêque s'empressa de venir l'accueillir à l'entrée de la maison forte.
Jean n'avait que 42 ans, c'était un jeune prélat plein d'énergie. Cadet des 3 fils de Hugues II, il avait été proche de ses neveux dans leur enfance. C'était l'oncle affectueux, qui consoler ses neveux après les sermons de leur père, qui les écoutait et les conseillait.

« Eudes ! Comme tu as changé ! La croisade t'a engaillardi ! Regardez moi ces épaules, cette barbe, ma parole mais tu es un homme à présent !
Bien sûr que tu peux m'embrasser, je n'ai pas fait tout ce chemin pour te serrer la main ! »


Jean enlaça tendrement son neveu qu'il n'avait pas revu depuis 5 longues années.

« Entre donc ! Enfin, je dis ça, tu es chez toi ici désormais, cela t'appartient et c'est moi ton invité.
Je ne savais pas quand tu allais arriver alors j'ai demandé à ce qu'on serve le repas. »


Sur la table étaient disposés des assiettes en argent, des pichets de vin et des plats remplis de fruits, de saucissons, de lards, de pâtés et de fromages. Au centre, il y avait une belle oie tout juste sortie de son four, accompagnée d'un brochet énorme, de deux lapins et d'une pintades. C'était un véritable festin, Jean était connu pour sa prodigalité, ou plutôt pour ses excès.

« Nous venions tout juste de commencer à manger. J'ai apporté dans mes bagages une belle oie et des fruits de mon verger. J'ai prit mon propre vin aussi que je fais importer des Landes, je te déconseille de boire celui produit ici, c'est une vraie piquette. »

Jean s'assit et invita Eudes à faire de même. On lui avait réservé la plus belle cathèdre et placé devant lui une assiette et un gobelet.

« Comment s'est passé ta rencontre avec sa sainteté ? »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 17:50
Je suis tout sourire. J'exulte. J'embrasse mon oncle bien fort, une étreinte qui me fait énormément de bien. Je vous l'avais déjà dis : La famille, voilà tout ce qui compte à mes yeux. La famille, toujours la famille.
Je m'empresse de m'asseoir à table. J'avais un peu faim, mais Jean m'annonce qu'il m'a amené de quoi manger. Cela ouvre encore un peu plus mon appétit.

« C'est très gentil tonton. Très gentil. »

Je déplie une serviette que je pose sur mes genoux, tandis qu'on commence déjà à me servir de quoi manger.

« Tout s'est bien passé. On m'a fait une haie d'honneur et j'ai pu visiter Vendaume - Cette ville est tellement magnifique ! Ensuite, j'ai un peu discuté avec Sa Sainteté. C'est... Comment dire...
C'est un saint homme, c'est certain. Mais il m'a fait des requêtes qui sont difficiles à accepter, pour un Duc de Cahogne. »


Alors que j'avais planté une fourchette dans la bouffe, je m'arrête soudainement.

« Duc de Cahogne... Tu te rends compte ? J'ai encore du mal à m'y faire. À m'en rendre compte... J'ai tout juste eut le temps de dire au revoir à papa dans la nécropole, puis immédiatement on m'a baladé dans un Conseil où on m'a fait signer des lettres. Ils n'ont vraiment pas perdu de temps, à Soulans. »


Je prend une bouchée, et, tout en mâchant, je continue à parler :

« D'ailleurs, en parlant de ça. Pourquoi tu n'es plus évêque de Soulans ? C'est quoi ces histoires ? J'ai du mal à comprendre... »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 18:16
« Rassure toi, à moi aussi il n'arrête pas de faire des requêtes que j'ai dû mal à suivre !
C'est un homme saint c'est certain, mais il aimerait que tous suivent la même sainteté. L'archevêque vit dans un autre monde, il n'a aucune conscience des réalités du terrain ! »


Jean se mit à rire. On avait l'impression que l'oncle et le neveu s'étaient quittés la veille, rien n'avait changé entre eux.
Il planta sa fourchette dans un morceau de lapin, mais avant de l'ingurgiter il dit :

« Oui, comme on dit, le duc est mort vive le duc ! L'administration ne s'arrête jamais. Que ça soit toi ou ton père sur le trône, cela ne change pas quand chose pour la grosse bureaucratie qu'est devenu le duché. La signature du duc reste la signature du duc ! »

Il avala son morceau de lapin, et quand Eudes aborda l'évêché de Soulans, son oncle prit un air sérieux.
Il déglutis difficilement, ses yeux avaient vu plus gros que sa gorge, puis prit une rasade de vin pour faire passer le tout.

« Tu abordes tout de suite les sujets sérieux je vois. Je sais que des rumeurs courent comme quoi Espien de Raysac aurait quelque peu comploté pour me voler mon évêché. A ne pas vouloir avouer la vérité on laisse les on-dit se propager. Mais je vais tout t'expliquer pour te rassurer.
Espien n'a rien volé du tout, il a prit l'épiscopat de Soulans avec mon consentement et celui du duc.
Vois tu, Soulans me fatiguait... la ville, les affaires, trop de travail, trop de problèmes. Et puis, je ne... "convenait" plus vraiment, on va dire, à la politique de ton père. Il m'a alors proposé d'échanger mon épiscopat avec celui de l'évêque de Villiers et Adrien a accepté. Espien est un homme compétent, intelligent et ambitieux, le candidat parfait pour Soulans. Il faut avoir de l'énergie et beaucoup d'envie pour s'occuper d'un tel diocèse ! Et puis c'était un proche de Hugues, un ami personnel. 
D'un commun accord on a décidé de ne pas expliquer les raisons de cet échange, le duc ne voulait pas qu'on sache qu'il remplaçait son propre frère par un homme plus compétent. »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 18:30
La révélation de Jean me surprend. Je fais les gros yeux, bien écarquillés. J’étais persuadé qu’Espien l’avait licencié en manipulant mon père, je ne m’attendais pas à ce qu’il ait démissionné volontairement.

« Espien est un homme extrêmement compétent, oui. Mais il me fait peur. C’est quelqu’un qui a énormément d’appétit. Je sens que la place qu’il occupe auprès de moi n’est pour lui qu’une étape. Il rêve de finir archevêque.
Peut-être même qu’il se voit déjà Triarque. »

J’agite la main pour qu’on me serve du vin – écoutant les recommandations de mon oncle, on me sert du bon cru des Landes.

« En tout cas tu as bien fait de quitter Soulans. Cette ville pue la merde. Ils ont vraiment foutu le bordel. À mon arrivée dans la capitale, on m’a balancé une betterave. Y a ce petit prévôt, Delphin, qui rêve probablement de créer une Commune… Et puis…
Et puis j’ai découvert qu’on avait enfermé Claude de Toussaint en prison. On l’accuse d’avoir voulu tuer papa. Mais pourquoi aurait-il fait une telle chose ? »


J’arrache un morceau de pain pour saucer le jus de la viande dans mon assiette.

« Les choses étaient plus simples au Ponant. J’étais aimé. J’étais respecté. Lothaire et Hubert sont toujours là-bas, j’espère que Dieu les protégeras…
J’ignore qui sont mes ennemis et mes amis, tonton. J’ai l’impression que tout le monde veut me manipuler. Qu’il n’y a que des créatures qui souhaitent me tourner à leur avantage. Annequin, Tancarvelles, Espien, tous.
Est-ce que je peux compter sur toi pour m’aider ? »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 19:06
Jean termina de manger du lapin et se resservit en prenant un morceau d'oie puis découpa une tranche de montfort et une autre de roue-de-lys pour l'accompagner.

« Je dois t'avouer que je me tiens éloigné des intrigues de Soulans. Depuis mon investiture à Villiers, je ne suis revenu dans la capitale qu'une seule fois, c'était pour les funérailles de ton père. La cérémonie était magnifique, le duché a dû dépenser une fortune pour habiller la ville. Dommage qu'il ne devait plus rien rester dans le budget pour le gisant de Hugues, tu as vu l'horreur qui surmonte son tombeau ? Qu'est ce qu'on a pu en rire avec Blanche, le "khan de Cahogne" qu'elle disait. Ta mère et Jeanne n'ont pas apprécié par contre. »

Jean reprit un ton plus sérieux.

« J'ai ouï dire de loin pour Toussaint. J'ignore si ce qu'on lui reproche est vrai. Mais il doit être mort à présent, deux ans à la Géolière personne n'y survit.
Et pour Delphin, je n'étais pas présent lors de la révolte de la ville, je n'en sais pas plus et je ne le connais. »


Il marqua une pause pour se resservir du vin afin d'accompagner son oie et ses fromages, puis reprit en reposant le pichet.

« Je comprends ta méfiance pour Espien, c'est un homme secret. Mais je peux t'assurer de sa loyauté. Je ne parle pas des rapiats que peuvent être les Daguerre, les Tancarvelles et les Annequins, mais s'il y a bien quelqu'un en qui tu peux avoir confiance au conseil, c'est Espien. Il est d'une totale loyauté. Aux obsèques de Hugues, il a pleuré ton père presque autant que moi. Ils étaient amis proches et je ne pense pas qu'Espien fasse quoi que ce soit contre le fils de son ami. »

Pendant qu'ils discutaient, une servante apporta un gros sanglier découpé en tranche qu'elle posa lourdement sur la table à côté de l'oie à moitié mangé.

« C'est à cause de sa personnalité qu'il t'inquiète, il peut paraître froid, distant, mais je crois que c'est plus par maladresse de sa part, et ses cachotteries le font passer pour un homme perfide et calculateur. Mais c'est un gentil.
S'il termine archevêque, ou bien Triarque, j'en serais ravi. Il ferait un excellent chef d'Eglise. »


Jean croqua dans son morceau d'oie, puis ajouta, la bouche pleine :

« En tout cas, évidemment que tu peux compter sur mon aide, la famille c'est sacrée, tu le sais bien. Comment va Lothaire d'ailleurs ? As tu des nouvelles de lui ? »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 19:22
Jean mange totalement dans la main d'Espien. Je suis de plus en plus surpris. Est-il sincère, ou est-il juste sous le charme du chancelier ? C'est impressionnant. Moi qui pensait découvrir mon oncle rongeant son frein, humilié...
Non. Non il se contente très bien de son petit diocèse perdu en Villiers, à manger ses oies et à s'occuper de son verger.

Je regarde tristement mon assiette à la question sur Lothaire.

« Je n'ai pas eu de nouvelles depuis mon retour de Cahogne, non. Avant de quitter le Ponant, je me suis dépêché d'assurer une trêve entre Basile et les émirs infidèles, alors il ne devrait plus y avoir d'opérations militaires avant un moment.
Lothaire n'est pas rentré tout de suite, parce qu'il prétextait vouloir aider tonton Hubert et ses Porte-Croix à remettre en état des forteresses qui ont été endommagées. Je crois en réalité qu'il m'en veut - il n'a pas apprécié le fait que j'ai limité ses déplacements et refusé de soutenir tous ses assauts. Lothaire aurait aimé écraser nos ennemis avant de repartir, afin que la Terre Sainte n'ait plus à se soucier de ses ennemis définitivement. J'ai préféré être plus précautionneux. J'espère qu'il nous reviendra vite. »


Je recommence mon assiette, afin de la terminer.

« Tu le connais bien, Domice d'Aigues ? On m'a dit que si je souhaitais convaincre sa sœur, il fallait également que je passe par lui. »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 19:39
« Lothaire ressemble bien trop à son père et à son oncle. Il est fait du même bois qu'Hubert, de fiers guerriers braves mais indisciplinés, à toujours vouloir courir après l'ennemi sans trop réfléchir. Au moins tu n'es pas comme eux, tu es plus rusé. »

Jean semblait avoir quelques ressentiments dans la voix, à croire qu'il en voulait à son grand frère.

« Je connais peu Domice, je ne l'ai croisé qu'à l'occasion de quelques conciles. Je n'ai jamais beaucoup discuté avec, mais je ne vais pas te cacher que je ne l'apprécie pas du tout. C'est un petit homme, de la race des médiocres. Un faible qui défoule sa frustration sur les manants. Un grand gaillard comme toi devrait facilement l'impressionner. Si tu le rencontres n'hésite pas à lui parler de manière directe et autoritaire, il se fera tout petit.
Je suis désolé de te le rappeler après ce triste portrait, mais il est de ta famille, tout comme la Baronne. Domice est ton grand-oncle, le frère de ta grand-mère maternelle, Blanche d'Aigues. Constance doit mieux le connaître que moi certainement, pourquoi ne lui demande tu pas ? »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeLun 13 Jan - 23:00
« Peut-être, tu as raison. »

C’est vrai que Lothaire est bien plus acerbe que moi. Plus violent. Plus vif. Plus fort aussi. Un brave homme. Exercé et adroit. Il s’entraîne à se battre depuis qu’il est gosse.
Il me manque terriblement.

« Espien m’avait conseillé de ne pas amener ma mère dans la baronnie d’Aigues… Il prétendait qu’elles ressemblaient trop, la baronne et elle, pour s’apprécier. Je n’ai pas forcément trouvé ça bête.
Je pense pouvoir convaincre la baronne et son frère. Mais on m’a également dit de faire attention aux ouailles d’Aigues. Que ce sont eux qu’il faudrait que j’arrive à convaincre. C’est pour cela que j’ai besoin de ton aide. Tu sais te faire aimer des gens, j’ai toujours trouvé ça impressionnant avec toi – tu n’as jamais été le plus causant, ni le plus intriguant, ni le plus fort, mais de toute la famille, tu es celui que tout le monde aime. Chaque fois que tu te rends quelque part, les gens veulent courber l’échine – non pour ton rang, mais pour ta personne.
Tu penses que tu peux m’aider sur ce point ? »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeMar 14 Jan - 1:27
Jean rougit presque aux compliments de son neveu.

« Oh je ne suis pas sûr que tout le monde m'aime, loin de là....
Et ceux qui m'aiment je crois que c'est justement parce que je ne suis ni le plus fort, ni le plus causant, ni le plus intriguant. Je me contente de ce que j'ai et j'en suis très heureux, les gens savent qu'ils n'ont rien à craindre de moi, je ne convoiterai ni leurs biens ni leur position. Pour ton père c'était un défaut, mais pour beaucoup c'est une qualité. »


Terminant son oie, Jean prit un morceau de sanglier. Il mangeait pour quatre, c'était étonnant qu'il garde autant la ligne avec tout ce qu'il ingurgitait.

« Espien a peut être raison de te dire de ne pas emmener ta mère, je ne connais pas ses relations avec sa famille maternelle. Il est toujours de bon conseil, la plupart du temps tu devrais l'écouter.
Je sais que la baronne est très proche de ses sujets. Si ces derniers te rejettent il est fort probable qu'elle les écoute. Je pense que c'est à ça qu'on t'a dit de faire attention. »


Il prit une grosse boucher de sanglier avant de l'avaler avec un gorgée de vin. Puis il reprit d'une voix un peu hésitante :

« Tu me disais dans ta lettre que tu voulais qu'on aille ensemble à Aigues, tu es bien sûr d'avoir besoin de moi ? Car c'est quand même à une semaine de route d'ici... je n'aime pas trop m'éloigner de mon diocèse. Mais si tu insistes et que tu penses que je pourrais t'aider alors... je serais toujours au service du duché tu le sais bien. »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeMar 14 Jan - 11:59
J'aime Jean. Il n'est pas seulement de mon sang ; c'est un homme aimable, gentil, sincèrement bon. Mais son manque d'entreprise et d'ambition m'embête. Je rêverais qu'il ait un peu plus de nerf. J'aimerais l'avoir à mes côtés, qu'il me soutienne dans le clergé là où je règne dans le duché. Mais non. Il ne souhaite que manger son oie et ses viandes, et vivre tranquillement sa petite vie. C'est totalement compréhensible, mais il n'empêche que ça m'ennuie.
Il a quarante-deux ans. C'est déjà trop tard pour le tailler et le former - pas comme cousin Hubert, tout jeune comte de Vaudrincourt, dont je suis sûr que je pourrais parvenir à transformer en chef d'État et preux chevalier. Au moins je peux compter sur sa loyauté et sa fidélité, c'est déjà énorme.

« C'est à toi de voir, en fait. Tu es un homme bon, avec un bon cœur, il me semble que c'est ce que le peuple d'Aigues voudrait. Je ne le connais pas. J'ignore quoi lui dire pour qu'il m'accepte comme baron. Je souhaitais que tu viennes à mes côtés pour me soutenir, pour me donner des conseils, des conseils sincères et honnêtes - beaucoup de conseillers ne me chuchotent dans l'oreille que pour m'attirer à leur opinion, toi je sais que tu me diras uniquement ce que tu penses, même si c'est une mauvaise idée. Si tu crois que tu peux te rendre utile pour cette tâche, j'en serais ravi. Autrement, je ne te forcerai pas à m'accompagner. »
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MessageSujet: Re: Dialogue cloîtré Dialogue cloîtré Icon_minitimeMar 14 Jan - 12:54
Jean réfléchi à la proposition de Eudes tout en mastiquant son sanglier.

« Hum... et bien... d'accord, je vais t'accompagner. Je ne sais pas si je te serai utile, mais au moins on pourra passer du temps ensemble. J'essayerai de t'aider du mieux que je peux. »

Il sourit et reprit un morceau de sanglier.

« La nourriture ne te paraît pas trop fade ? Après 5 ans passé en Ponantique ton palais doit être habitué à toutes les saveurs des épices.
As tu mangé du Lion là bas ? De l'éléphant ? Je me demande quel goût cela peut avoir. On dit que tout a goût de poulet de toute façon ! Ma théorie, c'est que Dieu a créé le poulet en premier, puis les autres animaux ensuite, c'est pour ça que tout a goût de poulet ! Ou bien, peut être a t-il créé l'oeuf d'abord et ensuite le poulet ! »
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Dialogue cloîtré
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